Réponse au terrorisme: bâtir des ponts et non des murs

Par Steeve Paradis 1 février 2017
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Malgré la peine qui les assaille à la suite de l’attentat au Centre culturel islamique de Québec, Adbellatif Oularabi et Hasan El Khaiat veulent ériger des ponts entre les différentes communautés plutôt que construire des barrières. Photo Le Manic

Baie-Comeau – Deux des membres de la communauté musulmane de Baie-Comeau, Abdellatif Oularabi et Hasan El Khaiat, sont évidemment sous le choc de l’attentat commis au Centre culturel islamique de Québec et qui a fauché six personnes, dont certaines qu’ils connaissaient bien. Mais malgré ce drame terrible, les deux hommes cherchent avant tout à voir du positif dans cette horreur.

Les deux amis, aujourd’hui citoyens de Baie-Comeau, sont des habitués du Centre culturel islamique de Québec. M. Oularabi a vécu à Québec de 2009 à 2015 tandis que M. El Khaiat y était de 2004 à 2012. Il y retourne encore fréquemment. « Quand je suis à Québec, je prie toujours là-bas. Dès que je suis là-bas, le week-end, je vais à la mosquée », soutient M. El Khaiat.

« On y va pour prier mais en réalité, c’est une occasion pour voir les amis, s’assurer que tout va bien pour tout le monde. C’est pour ça qu’après la prière, les gens prennent du temps pour discuter entre eux », rajoute son collègue et ami. On se rappellera que la fusillade dimanche soir à la mosquée s’est justement produite après la prière.

L’auteur de cette tuerie, Alexandre Bissonnette, n’est d’ailleurs pas un inconnu pour Hasan El Khaiat, dont le frère réside à quatre maisons de la famille de l’individu. C’est là qu’il demeurait lorsqu’il menait ses études en génie civil à l’Université Laval. « On le connait, le gars, c’est un gars timide. Je ne lui ai jamais parlé mais on s’est croisés. Je l’ai notamment vu dans le bus, toujours le capuchon sur la tête, pas un mot. » Ce seront les seules paroles que prononceront sur Bissonnette les deux hommes, tous deux ingénieurs à la direction régionale du ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports.

Comme un père

Parmi les victimes de l’attentat se retrouve Azzeddine Soufiane, un commerçant de 57 ans. C’est l’homme qui a tenté de désarmer le tireur. Il en a payé le prix de sa vie, mais son comportement a vraisemblablement permis d’en sauver d’autres. « On a perdu des amis et voire même, dans le cas de M. Soufiane, presqu’un père », lance M. Oularabi, un trémolo dans la voix.

«Il était comme un père pour la communauté, enchaine-t-il. Il n’y a personne qui ne le connait pas, qui n’a pas cherché conseil auprès de lui un jour ou l’autre. C’est une personne aimable, positive, toujours souriante, très impliquée dans la communauté.  Il était très loin d’être une personne qu’on pense qu’elle sera visée par un acte d’une telle atrocité. »

Ce qui frappe peut-être le plus en écoutant Hasan et Abdellatif, c’est de les voir persister à tirer du bon de ce drame. Ils osent même voir un monde meilleur se profiler à l’horizon, malgré le fait que les musulmans forment la communauté la plus souvent victime du terrorisme.

Solidifier des ponts

« Peut-être que ce genre d’événement pourrait solidifier les ponts entre les minorités et le peuple québécois », lance M. Oularabi en signalant que dans les circonstances, il faut avoir le courage de dires des choses positives. « Peut-être que les gens qui avaient des préjugés envers les gens d’autres religions changeront d’avis. Ils penseront dorénavant que le terrorisme n’a pas de religion, n’a pas de nationalité et que tout le monde doit s’unir pour lutter contre ce fléau. Il n’y a pas de mauvaise religion, il n’y a pas de mauvaise nationalité. »

Les deux Marocains d’origine assurent que depuis qu’ils sont au Québec, ils n’ont jamais senti qu’ils n’étaient pas chez eux, malgré des difficultés à faire leur place sur le marché du travail. Comme probablement l’ensemble des Québécois, « on se sentait à l’abri des actes terroristes et on n’aurait jamais imaginé que ça pourrait arriver ici. Mais ça s’est malheureusement passé et ça nous a choqués », soutient M. Oularabi.

M. El Khaiat, quant à lui, espère que le village global n’est pas qu’une chimère, même si l’état actuel du monde laisse croire le contraire. « Regarde ce qui se passe aux États-Unis, ils ont eu pire que ce qu’ils avaient avant », lance-t-il au représentant du Manic. « En Europe, c’est la montée de l’extrême-droite à peu près partout. On garde espoir, mais je ne te cache pas qu’on ne se sent pas nécessairement à l’abri quand on voit ce qui se passe aux États-Unis. Quand quelque chose arrive chez ton voisin, ça peut arriver demain chez vous. »

Tenant tous deux à souligner la grande solidarité exprimée par les Québécois envers la communauté musulmane, « qui fait sincèrement chaud au cœur », Hasan El Khaiat et Adbellatif Oularabi tiennent à livrer un message positif pour terminer. « On ne tombera pas dans le piège de l’extrémisme. Ce que veulent les terroristes, c’est diviser. C’est le moment de montrer au monde qu’on est unis et que malgré les attentats, on ne sera pas divisés », lance le premier. « Ce n’est pas par la marginalisation qu’on peut faire face au terrorisme, c’est par l’amour », conclut le second.

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