Crash près de Port-Cartier : le pilote miraculé raconte les événements

Par Mathieu Morasse 3:58 PM - 6 août 2019
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Matthew Lehtinen, sa femme Nikki, leur garçon de 11 ans et leur fille de 8 ans le 30 juin dernier à bord du Cirrus-SR22. Photo Matthew Lehtinen

Le 27 juillet, Matthew Lehtinen a littéralement frôlé la mort lorsque son avion s’est écrasé après avoir subi une panne de moteur entre Wabush et Baie-Comeau. Une semaine plus tard, il raconte son intense histoire en détails afin de remercier ses sauveteurs et d’inciter les pilotes à mieux se préparer et évaluer les risques.

Samedi 27 juillet, 8 h 17 (9 h 17 au Labrador). Matthew Lehtinen, 37 ans, est directeur des opérations chez Tacora Resources. Il vient de passer une semaine à la mine de fer Scully, que la compagnie a récemment redémarrée.

Il décolle de l’aéroport de Wabush, seul à bord de son avion Cirrus-SR22 construit en 2005. Il doit se rendre à Québec via Baie-Comeau. Il atteint rapidement son altitude de croisière de 8 000 pieds (2 438 mètres). Tous les voyants sont au vert.

Mais après environ une vingtaine de minutes de vol de croisière, il remarque que la température du moteur est élevée et que la pression d’huile est faible.
« Les valeurs étaient anormales d’environ 15 ou 20 %. Ça ne semble pas beaucoup, mais j’ai volé de nombreuses heures dans cet avion et je savais que quelque chose n’allait pas avec le moteur », relate-t-il en entrevue avec Le Nord-Côtier.

Il analyse ses options et à 9 h précisément, il décide de mettre le cap sur l’aéroport le plus proche, soit celui de Sept-Îles, situé à 25 minutes de vol. « J’étais optimiste d’y arriver, car ma pression d’huile et ma température n’étaient pas extrêmes, mais seulement anormales. »

À un doigt de la mort

À peine 7 minutes après avoir mis le cap vers Sept-Îles, son moteur perd de la puissance. « Le moteur faisait un gros bruit de grincement », se souvient-il. Il en avise immédiatement le contrôle aérien de Montréal.

« Honnêtement, je ne me souviens pas exactement ce que j’ai dit à ce moment intense, mais je me souviens que je leur demandais à répétition de noter mes coordonnées pour qu’ils puissent me retrouver au sol. »

Il effectue alors un virage à 180 degrés pour éviter d’aller s’écraser dans le réservoir de la centrale Sainte-Marguerite-3. Il fait planer son avion dans l’espoir de trouver un terrain plat, et attend d’être assez bas pour déployer le parachute de son Cirrus-SR22.

« Je ne voulais pas l’ouvrir trop haut et être emporté dans l’eau, car je n’aurais pas pu avoir mon GPS, mon équipement et mes vivres, sans compter les risques de noyade et d’hypothermie », a-t-il indiqué.

Il le déploie finalement à environ 2 000 pieds (610 mètres) d’altitude. Cela ralentit sa descente à 600 mètres par minute (36 km/h), laissant malgré tout encore beaucoup d’énergie cinétique à l’aéronef.

Tout se déroule ensuite très rapidement. « J’ai entendu un énorme “bang”, un arbre est passé à travers le plancher de l’avion et il y a eu une explosion de poussière et d’écorce dans le cockpit. Juste après, j’ai heurté le sol », a confié M. Lehtinen.

« Je me souviens d’avoir vu l’arbre apparaître à ma gauche du coin de l’œil. C’est passé tellement près de moi que ça a déchiré mon pantalon et m’a fait une coupure à la jambe. Quelques pouces plus près vers mon corps, et je serais mort.

Mission GPS

Il est 9 h 15. Matthew Lehtinen détache immédiatement sa ceinture de sécurité et saute en dehors de l’avion. Il oublie d’ôter son casque d’écoute et en tombe presque à la renverse.

Il court le plus vite possible et s’éloigne d’une centaine de mètres, de crainte que l’avion ne prenne feu ou n’explose. « J’avais une seule sandale, avec un short et un tee-shirt », illustre-t-il.

« C’était un moment fou quand j’ai réalisé que je m’étais écrasé, que j’étais dans le milieu de la forêt et que je n’étais pas blessé, hormis l’égratignure laissée par l’arbre sur ma jambe. »

Il se met alors à vraiment ressentir la peur pour la première fois, après avoir été trop concentré par ses tâches de pilote. « À ce moment, j’ai eu peur, car je n’avais pas mon GPS sur moi. J’avais peur qu’il soit tombé hors de l’avion, ou sous l’aile de laquelle s’écoulait beaucoup d’essence », a-t-il soutenu. « J’avais peur de retourner à l’avion à cause du risque d’incendie, mais je savais que j’avais besoin de mon GPS, sans quoi je serais mort. »

Il décide donc d’y retourner. Coup de chance, il trouve son GPS sur le siège du pilote. « J’ai activé le signal de détresse et j’ai su que je serais éventuellement capable de communiquer avec quelqu’un. »

Au bout d’une heure, il parvient finalement à envoyer et recevoir des messages avec son GPS, à son plus grand soulagement.

La longue attente

Le survivant décide alors de filmer les événements. « C’était très thérapeutique, ça m’a aidé psychologiquement de documenter ce qui se passait. Ça m’aidait à éloigner mes pensées du pire scénario. Et ultimement, je n’y ai pas pensé sur le moment, mais ça m’a permis d’en faire un vidéo pour remercier les sauveteurs. »

Par ailleurs, il subit les assauts incessants des insectes, en particulier ceux des petites mais voraces mouches noires.  Mais il y a pire. En effet, il n’a qu’une seule bouteille d’eau à sa disposition. Or, il fait très chaud et il sue beaucoup. Il pourrait tenter de rejoindre un lac situé à 1 500 mètres, mais il craint de se perdre et de s’éloigner de la carcasse de l’avion et des coordonnées GPS communiquées aux secours.

Après quelques heures d’attente, un Hercule C-130 de l’Aviation royale canadienne (ARC) survole la zone, mais la végétation dense empêche les militaires de le localiser.

Il allume alors un feu. Le plan fonctionne et il reçoit un message sur son GPS l’informant que l’avion a repéré la fumée de son feu. L’énorme avion largue ensuite un objet à environ 200 mètres de sa position. L’Américain le retrouve grâce au long ruban qui y est attaché et au puissant signal sonore qu’il émet.

C’est une radio. Matthew Lehtinen peut enfin communiquer directement avec l’équipe de recherche et sauvetage. « À ce moment, quand j’ai pu parler à quelqu’un, ça a été un autre énorme soulagement », fait-il valoir.

Le Hercule C-130 effectue ensuite plusieurs passages au-dessus de lui tandis qu’il leur indique son positionnement relatif à l’avion. Les militaires peuvent ainsi trianguler sa position exacte.

Le sauvetage

S’il est désormais localisé avec précision, Matthew Lehtinen n’est pas encore sorti du bois. Il doit attendre l’arrivée de l’hélicoptère de sauvetage de l’ARC.

Une fois le CH-149 Cormoran sur place, deux sauveteurs descendent au sol et le rejoignent. « Ils étaient estomaqués de me voir indemne », se rappelle-t-il. Ensemble, les trois hommes grimpent une colline dont le sommet est dégagé. De là, l’hélicoptère descend un panier et il est hissé à bord vers 14 h.

À 14 h 38, le Cormoran atterrit à l’aéroport de Sept-Îles. Le miraculé en ressort sur ses propres jambes, quoique en pieds de bas sur le tarmac.
Quelques minutes plus tard, il quitte l’aéroport en ambulance en direction de l’hôpital. Il y est pris en charge pour un état de choc et obtient son congé quelques heures plus tard. L’histoire quasi-miraculeuse prend ainsi fin.

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