Un pas à la fois

Par Dave Savard 6:00 AM - 12 mars 2021
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« Seules les pensées qu’on a en marchant valent quelque chose. » (Nietzsche, Crépuscule des idoles, « Maximes et pointes »; 34) Pouvons-nous nous imaginer que la marche en forêt ou ailleurs nous procure le bonheur de penser? J’aime croire que ma Côte-Nord me donne cette chance incroyable de marcher dans des endroits magnifiques et de renouveler ma pensée.

Nombreux sont les endroits où nous pouvons nous rendre pour nous entendre penser. Je songe au boisé de la Pointe Saint-Gilles, au parc Manicouagan, à la plage Champlain, pour ne nommer que ceux-là.

Dans cette chronique, je propose une façon de transformer quelque chose en nous, et cela, d’un simple regard sur notre belle région : la Côte-Nord. Je parle de cette volonté de redéfinir les valeurs que nous incarnons et que nous promouvons. Est-ce que le fait de vivre en région rend tout cela accessible et possible?

Ici, je m’inspire de Friedrich Nietzsche (1844-1900). Je ne peux certes résumer l’entièreté de la pensée de ce philosophe de la période moderne dans une seule chronique. Cela dit, ce qui rend ce penseur particulièrement intéressant pour cette dernière est sa conviction que l’esprit se sert du corps dans le but de réapprendre à penser, soit de libérer sa conscience en vivant de manière active.

Or, comment appliquer ce principe? Et est-ce que notre milieu de vie, notre chère Côte-Nord par l’entremise de la forêt, de la mer et de ces grands espaces, tend à rendre cette volonté de vivre et donc de penser possible?

Il faut comprendre que le corps est l’essence même de ce que nous sommes selon Nietzsche. Le philosophe explique qu’il importe de libérer notre puissance (l’instinct) pour lui donner une pensée toute nouvelle et que c’est ce qui nous incite à marcher, par exemple. Et, ce ne sont pas les endroits qui manquent en Côte-Nord pour une activité comme la marche, non?

En termes simples, il y a quelque chose en nous, une force brute qui ne demande pas mieux que de prendre l’air. Ce n’est bien entendu pas un secret pour bien des gens, non seulement ici, chez nous, mais partout dans le monde. Après tout, nous mettons depuis longtemps un pied devant l’autre, non?

En fait, ce qui donne un certain grain d’humour à cette manière de vivre, c’est que nous apprenons à penser comme nous apprenons à marcher. C’est ici le point sur lequel je souhaite attirer votre attention. Oui, beaucoup font l’expérience au quotidien de ce qu’est la double action de marcher et penser, mais combien d’entre nous, dans cette démarche, réalise pleinement que ce phénomène, que certains tiennent pour acquis, signifie aussi le fait de découvrir, d’inventer de nouvelles possibilités de vie?

La marche ne nous transporte pas uniquement de manière physique (de corps) là où nous devons nous rendre, comme du point A au point B, mais elle nous ouvre les yeux (l’esprit) sur de nouvelles avenues. C’est une règle de vie qui paraît très simple, me direz-vous, mais encore faut-il s’activer à l’appliquer, non?

Chaque effort que notre corps accomplit tout au long de notre vie, y compris porter le poids du monde sur nos épaules, nous fait découvrir de nouveaux sentiers (de nouvelles idées) comme des trajets jamais empruntés, nous forçant à redécouvrir les domaines les plus éloignés et risqués de la vie. Cette activité physique dont nous parle Nietzsche, que je me permets d’associer au paysage nord-côtier, nous donne cette possibilité par la volonté d’agir et de penser de manière féconde tout au fond de nous, comme un nouveau-né à la découverte du monde tel un artiste qui réalise sa plus belle œuvre : lui-même.

Les pensées qui en émergent épousent le rythme de notre vie et la forgent dans ce que nous sommes de plus beau et, au risque de passer pour un peu chauvin, je l’avoue, à l’image de notre sublime région, la Côte-Nord, un pas à la fois.

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