Ce qu’il restera de nous

Par Emelie Bernier 12:00 PM - 8 mars 2022
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Elisapee Angma, Marly Édouard, Nancy Roy, Myriam Dallaire, Sylvie Bisson, Nadège Jolicœur, Rebekah Harry, Kataluk Paningayak-Naluiyuk, Dyann Serafica-Donaire, Carolyne Labonté et les autres forment la désolante ribambelle de féminicides, indissociable de ces quelques années de pandémie. Photo Istock

Le 13 mars 2020 était déclaré l’état d’urgence sanitaire. Deux ans plus tard, presque jour pour jour, le 14 mars 2022, la quasi-totalité des mesures sanitaires avec lesquelles nous avons dû composer seront levées. Que restera-t-il de ces deux années dans l’ombre de la COVID-19? Qui serons-nous après elle?

Elle nous l’a bien empoisonnée, la vie, depuis deux ans. Il y a deux ans, les mots « confinement », « quarantaine», «distanciation », « bulle familiale », « lavage de mains », « port du masque » n’avaient certainement pas la même portée qu’aujour-d’hui.

Certains n’existaient même pas dans notre vocabulaire usuel.

Auriez-vous assisté à une réunion en « présentiel » en 2019? Auriez-vous craint le « délestage »? Trimballé un téléchargement de votre « passeport vaccinal » dans votre cellulaire? Fait la différence entre un test PCR et un test rapide?

Le mot «écouvillon » prend soudainement tout son sens quand on vous en enfonce un bien profondément dans la narine…

Nous avons vécu avec le virus de si près que nous l’avons apprivoisé. Son langage est devenu familier. Mais nous ne nous y sommes pas attachés pour autant. Que nenni.

Vivre avec le virus, soit, mais l’accueillir comme un membre de la famille? L’adopter? Jamais.

Ce damné virus a tout chamboulé. Que retiendrons-nous de cette aride parenthèse temporelle et existentielle?

On se souviendra de tous ceux qui sont décédés dans la solitude de leur petite chambre vert pâle de CHSLD, sans un proche pour leur tenir la main ni la douce couverture de la dignité pour les réchauffer avant le grand départ.

On se souviendra des restaurateurs et hôteliers privés de gagne-pain, des artistes privés de public, des organisateurs d’événement privés… d’événements, des nageurs privés de piscine, des sportifs privés de gymnase… Et des malades privés de soins.

On se souviendra de nos ados privés de tout ce qui fait l’adolescence.

On se souviendra des Noëls et des jours de l’an tristes à pleurer. Des anniversaires sans amis avec qui partager le gâteau.

On se souviendra des paliers vert, jaune, orange et rouge et des régions isolées les unes des autres par des barrages.
On se souviendra des points de presse quotidiens avec bilan des morts et des hospitalisations, une bien triste téléréalité.

Il y aura des sourires à l’évocation des tartelettes portugaises d’Horacio et des petites bourdes langagières de Legault…
Nous nous souviendrons du schisme social qui nous a divisés, sur fond de bruit de klaxons et d’appels à la « LIBÂRTÉ »!
Les Ottaviens et Ottaviennes se souviendront certainement de leur ville assiégée. Bonhomme Carnaval aussi…

Une choquante ribambelle de féminicides sera suspendue d’un bord à l’autre de notre mémoire pandémique.

Des chiffres qui parlent

Depuis deux ans, pandémie oblige, on a globalement été tous plus stressés, à différents degrés.
Selon Statistique Canada, « au printemps 2021, le quart des Canadiens ont déclaré ressentir des niveaux élevés de stress la plupart du temps.

Près de 50 % des Canadiens ont estimé que leur niveau de stress était un peu ou beaucoup plus élevé qu’avant la pandémie. Les taux étaient plus élevés chez les femmes; les personnes âgées de 35 à 44 ans; les membres de la communauté LGBTQ+; les familles ayant des enfants de moins de 15 ans. »

Conséquemment, on a davantage tenté d’engourdir nos malheurs…

Les pépites

Parlez-en à tous les télétravailleurs qui ont rangé tailleurs et costumes empesés et adopté avec béatitude le look mou intégral.

À tous ceux qui ont profité des vagues pour voguer vers les campagnes longtemps rêvées.

Aux audacieux qui ont déjoué la tempête et construit de nouveaux radeaux.

À ceux qui ont fait du pain, du macramé, du grand ménage.

À ceux qui ont enfin gratté la guitare tant reluquée, appris à baragouiner l’espagnol ou le mandarin, cessé de remettre leurs rêves aux lendemains.

À ceux qui se sont remis à courir, à marcher, à skier.

Les études le confirment : nous avons cuisiné davantage, passé plus de temps en famille, réfléchi à notre avenir et agi pour que celui-ci rime avec sourire.

On a vu naître des initiatives comme la Chouenne. Les marchés publics ont vu affluer des files sages et dûment distancées de clients masqués. On a opté massivement pour les mets à emporter, question de se gâter tout en donnant un coup de pouce à nos restaurateurs malmenés. On a enfin compris, espérons-le, l’importance de consommer local.

“En somme, les individus ont observé des changements positifs quant à leur rapport à la consommation, leur comportement alimentaire, leur rapport au temps, leur mobilité, leur équilibre personnel, leurs liens communautaires, leur capacité de résilience et leur littératie numérique»*, relate la chercheuse Nancy Brassard qui s’est penchée sur la question desdites pépites.

Dans son mémoire, Mme Brassard évoque également la « résilience individuelle et organisationnelle des institutions publiques », institutions qui ont su se revirer sur un dix sous pour maintenir leurs activités et perpétuer leur mission.
Pensons seulement à l’école. Il aurait été si facile de simplement abdiquer, de mettre la grosse machine de l’éducation sur pause, d’attendre que la crise passe… Les conséquences auraient été encore plus dramatiques pour nos enfants bien suffisamment brassés par la houle comme ça. Il faudra du temps pour mesurer l’étendue des dégâts. Après les X, les Y, les millénariaux, il y aura la génération COVID…

Quoi qu’il en soit, nous avons appris, travaillé, fonctionné, interagi, consommé, vécu différemment. Les mots bienveillance, empathie et solidarité ont pris tout leur sens.

Nous aurons compris, souhaitons-le, notre chance d’être né de ce bord-ci du monde. Nous ne sortirons pas indemnes de cette pandémie, mais le 14 mars marquera le retour à « une certaine normalité ».

Ces mots-là auront également pris un tout nouveau sens. Normal, c’était quoi donc?

*Source : Brassard, N.(2020). COVID-19 et les retombées positives: l’autre côté de la médaille! Ad Machina

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