Parcs, réserves, géoparcs, etc. : la labellisation, qu’est-ce que ça change?

Par Émélie Bernier 7:36 AM - 24 novembre 2022 Initiative de journalisme local
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Pascale Marcotte.

La municipalité d’Anticosti tente d’obtenir le label « patrimoine mondial de l’UNESCO ». Près de Sept-Iles, une coalition milite depuis des années pour que le Lac Walker, situé dans la Réserve faunique de Port-Cartier-Sept-Îles, entre dans le giron des parcs nationaux québécois. Plus à l’ouest, Charlevoix vise l’obtention de la labellisation de Géoparc mondial UNESCO pour 2025. Les projets de parcs de la Côte-de-Charlevoix et des Dunes-de-Tadoussac font partie des promesses de la CAQ. Beaucoup d’efforts sont consentis dans ces divers projets, mais quels sont vraiment les impacts de telles labellisations sur ces territoires?

Pascale Marcotte, professeure titulaire et directrice du certificat en tourisme durable au département de géographie à l’Université Laval, est une spécialiste de la question. Elle est d’ailleurs l’une des intervenantes du séminaire Désignations de territoire de l’UNESCO qui se déroule aujourd’hui, 24 novembre, au Fairmont Le Manoir Richelieu, à La Malbaie.

Obtenir un statut comme celui de patrimoine mondial de l’UNESCO n’est pas une mince tâche.
À preuve, le dossier de candidature pour l’Île d’Anticosti est une brique (virtuelle, s’entend) de plus de 2000 pages. Et rien ne garantit que le statut sera obtenu, bien que le Canada soutienne le dossier et le promeuve, rappelle-t-elle.

« Dans le cas de ces labels internationaux comme celui-là, il faut démontrer qu’on est intéressant pour l’humanité, rien de moins. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Il faut que le label soit justifié au niveau scientifique et il faut également démontrer que la communauté est prête à vivre avec le statut et ses impacts », ajoute Mme Marcotte.

Le territoire «confisqué»

Car si un tel label confère d’emblée une notoriété internationale au territoire qui l’obtient, cette notoriété a parfois des conséquences qui peuvent bousculer le milieu concerné.

« Il y a des effets et on l’a vu ailleurs. On a parlé beaucoup de surtourisme et on se préoccupe des communautés qui des fois gagnent, mais des fois écopent suite à une labellisation », indique Mme Marcotte, évoquant notamment l’impression de « confiscation du territoire ».

« Par exemple, quand un lieu est saisi par une organisation, une municipalité, une instance proche du milieu, les communautés ont l’impression qu’elles sont impliquées, qu’elles ont un droit de parole. Elles peuvent aller au conseil municipal, parler au maire, mais lorsque c’est une organisation nationale ou internationale, par exemple, on a l’impression de perdre le pouvoir comme citoyen. »


Inquiétudes légitimes

À titre d’exemple, elle cite le projet de parc de Côte-de-Charlevoix, dans la mire de la SÉPAQ, redouté par certains résidents du secteur.

Baie-des-Rochers sera l’un des sites centraux du prochain parc de la Côte-de-Charlevoix. Du moins, s’il se réalise…
Photo courtoisie Dominique Villemaire

« Le résident est attaché à son milieu. Dans certains cas, des gens se sont installés à proximité pour avoir l’usufruit des lieux, ils se sont approprié des espaces, ont étiré leurs clôtures… Ils ont peur de la perte de jouissance et c’est normal », convient la chercheuse.

Mais une labellisation, et le contrôle qui vient avec, n’est pas que négative, loin de là.
« Les réseaux sociaux amènent une nouvelle réalité. En quelques publications d’influenceurs, un lieu quasi inconnu peut devenir un « hot spot » en une semaine! Quand un lieu commence à générer du trafic, des nuisances, les locaux vont se dire «il faut qu’on l’organise». Ce besoin de protéger, d’organiser pour que ça se fasse correctement et qu’il n’y ait pas une appropriation sauvage, c’est ça qui va parfois générer l’acceptabilité sociale », indique-t-elle.


Et celle-ci est de plus en plus essentielle dans quelque processus de labellisation que ce soit.
« Il y a depuis quelques années un changement de paradigme par rapport à ça. C’est un élément qui est pris en compte d’emblée », commente la chercheuse.
Élus et citoyens doivent supporter les projets de labellisation désormais pour que ceux-ci aillent de l’avant.

« La participation des élus et la mobilisation citoyenne sont des éléments essentiels dans les dossiers de candidature de l’UNESCO notamment. Il faut générer du consensus, surtout lorsqu’un même territoire est convoité par plusieurs personnes avec des intérêts différents », ajoute Mme Marcotte.

L’obtention d’un label n’est pas une fin en soi. « Il y a un certain décalage. Souvent, le titre est pris comme une finalité, mais dans les faits, quand tu as le label , le vrai travail commence », conclut la chercheuse.

Le séminaire accueille notamment Eleanor Haine de la Commission canadienne de l’UNESCO, Christel Venzal, maitre de conférence de l’Université de Pau et des pays de l’Ardour, spécialiste des géoparcs de l’Hexagone, et Katie Gagnon, responsable Développement & concertation pour la candidature d’Anticosti au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Un label, c’est quoi?

Par labellisation, on entend l’attribution d’un statut particulier, que ce soit celui de réserve, de parc national géré par la SÉPAQ ou Parcs Canada, de géoparc, de réserve de la biosphère ou, comme dans le cas de l’Île d’Anticosti, de patrimoine mondial de l’UNESCO, par exemple.
« Lorsqu’un territoire fait appel à un de ces labels, ça vient avec un cahier de charge qui permet de s’organiser, d’identifier ses priorités. Ce territoire, bien sûr, on l’aime et on veut le partager, mais ce n’est pas toujours aussi simple… », résume Pascale Marcotte, professeure titulaire et directrice du certificat en tourisme durable.

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