Le Nitassinan plus douillet qu’avant

Par Alexandre Caputo 7:00 AM - 28 janvier 2023 Initiative de journalisme local
Temps de lecture :

Marie-Pier Michel en compagnie de sa petite-fille et ses deux enfants adoptifs. Photo courtoisie

Traditionnellement, lorsqu’une famille innue quittait vers son territoire, ce n’était qu’avec le strict nécessaire bien ficelé sur un toboggan. Depuis, les coutumes ont évolué et les méthodes ont été adaptées, mais l’appel du territoire demeure le même.

Pour Mme Thérèse Tshernish, une aînée de la communauté de Uashat mak Mani-utenam, le temps passé sur le territoire n’était pas du temps de vacances, mais son quotidien.

« Ma mère a accouché de moi dans le bois », note-t-elle. « Jusqu’à mes six ans, nous ne revenions en ville que deux fois par année pour faire des provisions », explique la dame de 72 ans.

Selon M. Denis Vollant, directeur adjoint à la recherche et au développement pour le secteur Éducation d’ITUM, la colonisation a joué un grand rôle dans le changement du mode de vie des Innus.

« Aujourd’hui, les jeunes vont à l’école et les parents travaillent à temps plein », note-t-il. « Aller dans le territoire se fait donc durant les congés. Avant, être dans le bois était simplement le mode de vie de la communauté », explique-t-il.

Pour la famille de Mme Tshernish, le retour à la civilisation ne durait que quelques jours et il n’était pas question de se déplacer vers les commerces à grande surface pour faire le plein.

Sur le toboggan familial se trouvaient seulement quelques toiles pour monter le campement, de la graisse, de la farine, du sucre, du sel, du thé, quelques épices, ainsi que le nécessaire pour attraper le gibier.

Une fois hors du train dans les environs de Schefferville, l’emplacement des campements et les habitudes alimentaires de la famille se dessineront au gré du territoire.

« Nous ne restions pas plus que deux ou trois jours au même endroit », mentionne Mme Tshernish.
Le campement étant constitué de toiles installées dans les arbres avoisinants, il était convivial de tout emballer sur le toboggan pour suivre le gibier.

« Mon père partait à la chasse, nous ne savions pas pour combien de jours », raconte Mme Tshernish. « Pendant ce temps, nous aidions notre mère avec ses collets et avec la cueillette de petits fruits », se souvient-elle.

Tout le monde avait le cœur à la fête lorsque le patriarche revenait au campement avec une chasse concluante.

« Nous allions en famille désosser ce que mon père avait tué, puis nous ramenions le tout au campement sur le toboggan, c’était des beaux moments », se remémore-t-elle.

Mme Tshernish se considère chanceuse d’avoir vécu dans l’abondance lors de ses années sur le Nitassinan. Elle avoue toutefois que les temps pouvaient être durs.

« En janvier et février, nous montions un campement plus permanent pour survivre au froid et aux tempêtes », explique-t-elle. « Il nous fallait parfois chasser la caille ou l’écureuil parce que le gros gibier se faisait rare », note-t-elle.


La flamme est toujours vivante

Marie-Pier Michel, originaire de Uashat mak Mani-utenam, est montée à bord du train menant à Schefferville le 15 décembre. Six heures de locomotive et une bonne randonnée de motoneige plus tard, la dame, accompagnée par sa petite-fille de deux ans ainsi que par ses enfants adoptifs de cinq et huit ans, arrivent au chalet familial.

Le chalet, bien que rudimentaire, est muni d’un foyer, d’un four au propane et d’une génératrice.
« Moi je ne me souviens pas avoir déjà passé les Fêtes en ville », note la femme de 39 ans.

Mme Michel et son escadron sont demeurés près d’un mois sur le Nitassinan. Même si elle avoue avoir amené assez de provisions du Costco pour perdurer quelques semaines de plus, elle note que la chasse, qui n’est plus primordiale à la survie, a tout de même permis d’élargir les disponibilités au menu.

Selon M. Vollant, plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi les usagers du Nitassinan ne se rabattent plus seulement sur le territoire pour les nourrir.

« Premièrement, de façon générale, les aptitudes de chasse et de pêche se sont détériorées au fil des générations », débute-t-il. « En plus, le gibier se fait plus rare, il devient donc moins tentant de vouloir vivre avec ce que le territoire offre », explique-t-il.

Mme Michel se réjouit tout de même de voir que l’appel du territoire est encore présent chez les jeunes.

« C’est au tour des enfants de nous demander pour aller dans le bois et ils ne veulent plus repartir. Nous étions pareils à leur âge », dit-elle en riant.

Le secteur Éducation d’ITUM n’est pas étranger à ce phénomène.

« Nous organisons des sorties en territoire pour les jeunes de tous les niveaux et ils adorent renouer avec ce genre de tradition », mentionne M. Vollant qui ajoute que cette initiative a permis de faire baisser le taux de décrochage scolaire sur la communauté.

Mme Michel conclut en se remémorant un moment qui a marqué ses séjours sur le territoire, moment qu’elle a partagé avec son grand-père juste avant son décès. Elle décrit l’homme comme étant un amoureux de son Nitassinan, au point où son dernier souffle aura été au moment où le train quittait le territoire pour Sept-Îles.

« Il savait qu’il nous quitterait bientôt », se souvient-elle. « Il retardait le moment où il allait quitter le territoire pour revenir en ville, puis dès que le train a démarré, ses yeux se sont fermés. Il a laissé son âme sur le Nitassinan », conte Mme Michel.

Partager cet article