Ils sont parmi nous… et indispensables (2e de 4)

Par Emelie Bernier 6:00 AM - 22 juin 2024 Initiative de journalisme local
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Ils sont une main-d’œuvre essentielle et sans eux, nombre d’entreprises québécoises peineraient à garder leurs portes ouvertes. En mars dernier, la journaliste et chroniqueuse Émélie Bernier est allée au Guatemala à la rencontre de travailleurs étrangers temporaires qui font chaque année la navette entre leur pays et le nôtre. L’objectif ? Comprendre leurs motivations et les impacts de ce choix qui les éloignent durant plusieurs mois de leur famille et de leur communauté. Voici le second portrait d’une série de quatre.

Luis Ajquiy : Au nom de tous les siens

Luis Ajquiy habite le petit village de Santa Apolonia, en périphérie de la ville de Tecpán. En ce mois d’avril, les champs découpent le décor aride en vastes rectangles tracés de lignes verdoyantes. Fraises, oignons, zucchinis font de leur mieux pour croître sous la chaleur intense de la saison sèche. À peu près tous ceux qui cultivent cette terre de Caïn louent les terres à des propriétaires fonciers. Au bout de la chaîne, les prix sont bas, très bas. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? 

« Les paysans sont fiers de cultiver. Mais c’est difficile de gagner sa vie avec l’agriculture », indique Luis Ajquiy. 

Depuis quelques années, M. Ajquiy, lui-même producteur, fait la navette entre Santa Apolonia et Les Éboulements où il est travailleur étranger temporaire. Durant quatre à six mois, selon les besoins de son employeur, il s’exile pour subvenir aux besoins de sa famille. 

Il est de ceux qui ont payé cher, très cher, leur passage vers le nord. « J’ai dû payer 20 000 quetzales (environ 4 000 $) la première fois ! “Une fortune, considérant que le salaire annuel moyen au Guatemala est de 5 000 $.” Mais au moins ça a fonctionné », indique celui qui en est à sa 4e saison au Québec. Il est soutenu dans ses démarches annuelles par l’agence guatémaltèque HRO, qui travaille main dans la main avec l’organisme québécois ARIMÉ.

La décision de partir n’a pas été facile. « Au début, je ne voulais pas laisser mes enfants, mais finalement, j’ai décidé de partir pour eux, pour qu’ils aient un meilleur futur. C’est ce qui me motive à travailler fort, tous les jours, quand je suis dans le nord. »

Luis Ajquiy préfèrerait travailler au Guatemala et vivre toute l’année auprès des siens. « Mais l’économie est très mauvaise. Ici, au mieux, je peux gagner 3 000 quetzales par mois. Au Québec, je parviens à gagner 10 000 quetzales. C’est plus de trois fois plus… »

Cet argent lui permet non seulement de soutenir sa famille immédiate, mais également ses parents, et des proches lorsque les temps sont plus durs. 

Décision crève-cœur

Une partie de ses revenus à titre de travailleur étranger temporaire lui permet de louer un lopin de terre cultivable dans son village. Il y cultive des pommes de terre, du maïs et des fraises. Ses allers-retours au Québec lui ont permis d’acquérir des connaissances utiles. « J’ai appris des techniques qui me permettent de faire une meilleure maintenance des plants, du champ. Je peux faire des investissements qui vont aider à récolter davantage, plus longtemps, ce qui va ramener éventuellement plus d’argent », indique-t-il.

Devenir propriétaire d’une parcelle de terre arable n’est toutefois pas une option. « C’est impossible, inabordable. »

Aider son prochain

La volonté de franchir illégalement la frontière des États-Unis est une tendance lourde chez jeunes Guatémaltèques des communautés rurales. Luis Ajquiy, en bon père de famille, aimerait avoir l’opportunité de leur dire deux mots. « Si vous souhaitez aller au nord, je vous en prie, allez au Canada légalement plutôt qu’aux États-Unis illégalement ! Vous ne savez pas ce qui peut se passer ! On entend beaucoup d’histoires qui se terminent mal. Et après, vous ne pourrez pas revenir. »

Il aimerait un jour utiliser son expérience pour accompagner et conseiller ses pairs qui souhaitent tenter l’aventure du travail temporaire au Québec. « Je l’ai vécu alors ça me ferait plaisir de donner des conseils aux jeunes, à des amis, même à des gens que je ne connais pas. »

Luis Ajquiy espère voir sa communauté se développer, prospérer. « Ce rêve, je l’ai aussi pour mes enfants, mon pays. » Et si sa réalisation implique de s’exiler chaque année pour travailler, qu’il en soit ainsi.

Les États-Unis, eldorado risqué

L’organisme CasaSito œuvre auprès des jeunes des communautés de l’Alta Verapaz et du Quiché, deux régions à l’indice de défavorisation élevé, pour les sensibiliser aux dangers de l’immigration illégale. 

« Tous n’ont pas les mêmes chances ici. Le travail étranger temporaire légal, comme au Canada, est une alternative que nous leur présentons », explique Alice Lee So Fong, qui travaille (bénévolement) pour l’organisme depuis de nombreuses années.

L’exil de la jeune génération est une lame à double tranchant. En plus de précariser la situation des personnes migrantes, il peut sérieusement miner l’avenir des communautés qu’elles laissent derrière. 

« Chez CasaSito, nous tentons de donner aux jeunes non seulement des outils, mais l’espoir qu’il est possible de bien vivre au Guatemala », indique Mme Lee So Fong. 

Des écoles ont été construites par CasaSito dans des milieux reculés. Les étudiants qui souhaitent faire des études universitaires sont soutenus par un programme de bourse. « Nous encourageons l’entrepreneuriat. Si des jeunes souhaitent faire la démarche pour aller travailler légalement au Canada ou ailleurs, nous les encourageons aussi. C’est un système qui est légal, les salaires sont intéressants et les familles ne sont pas brisées. Nous faisons tout pour éviter qu’ils ne traversent illégalement aux États-Unis, car ça signifie qu’ils ne pourront probablement jamais revenir. » 

Une personne ayant séjourné aux États-Unis, peu importe la durée, sera d’ailleurs exclue d’emblée des processus de recrutement des agences qui soutiennent les travailleurs étrangers temporaires. « Il y a la crainte que les personnes profitent du fait qu’ils sont au Canada pour essayer d’entrer aux États-Unis parce que la frontière est plus perméable », indique Estefania Pineda, de l’agence ComuGuate. 

Pour Luis Ajquiy, pas question de migrer, ni aux États-Unis, ni au Canada. « Mon pays, c’est le Guatemala. Je suis ici pour travailler, mais je veux rentrer chez moi. »

Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.

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