GNL ressuscité : le milieu nord-côtier divisé

Par Emelie Bernier 7:53 AM - 12 février 2025 Initiative de journalisme local
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Une maquette de l’usine de liquéfaction du gaz naturel. Photo : GNL Québec

Le contexte géopolitique actuel fait ressurgir d’entre les morts un projet qu’on croyait bel et bien enterré : le projet d’usine de liquéfaction du gaz naturel de GNL Québec à La Baie, au Saguenay, et ses corollaires, dont un gazoduc de 780 km. 

Le chef conservateur fédéral Pierre Poilievre n’a pas attendu l’entrée en poste de Donald Trump pour relancer, le 11 janvier dernier,  les tractations sur le projet GNL Québec.

En tournée au Saguenay, il avait alors affirmé sans ambages qu’une fois élu, son gouvernement autoriserait le projet.  

Puis, l’arrivée fracassante de Donald Trump à la tête de la plus grande puissance mondiale, accessoirement le pays voisin du Canada, a remis au cœur des discussions la question de notre dépendance aux échanges commerciaux avec les États-Unis.

Sa menace d’imposer des tarifs de 25 % sur toutes les exportations canadiennes fait craindre le pire pour l’économie canadienne et incite les politiciens à tenter de donner un important coup de roue en ouvrant la porte aux grands projets créateurs d’emplois et en accélérant certains processus d’autorisations, notamment environnementales.

Pas le premier regain     

Le rapport du Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) remis au gouvernement québécois en mars 2021 concluait que « les effets environnementaux négatifs importants que le projet est susceptible d’entraîner [n’étaient pas] justifiables dans les circonstances ». La CAQ avait mis la hache dans le projet quelques mois plus tard, une nouvelle accueillie avec soulagement par les opposants du projet, dont le Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec et le Comité citoyen littoralement inacceptable.

En 2022, le projet de GNL Québec avait connu un premier regain de vie, à la faveur de la campagne électorale provinciale. 

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, en avait fait « la question de l’urne » au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le superministre Pierre Fitzgibbon s’était également montré favorable à sa remise sur les rails. 

La même année, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, avait refusé d’accorder les autorisations fédérales nécessaires, accordant sa voix à celle du ministre de l’Environnement du Québec, Benoît Charette et clouant officiellement, croyait-on alors, le cercueil de GNL Québec.

À la faveur des récents événements, le ministre Charette de même que le premier ministre François Legault se sont toutefois montrés « ouvert » à une nouvelle mouture du projet.  

Pourquoi pas ?

L’objectif du projet de GNL Québec était d’exporter 11 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par voie navigable vers les États-Unis, l’Europe et l’Asie, et ce, pour une période entre 25 et 50 ans. 

La grande majorité de ce gaz serait obtenue par fracturation hydraulique (85 %), un processus qui n’est pas sans risque, notamment en regard des fuites à diverses étapes, tant à l’extraction qu’au moment de la distribution.

En entrevue avec le Journal, le chercheur et biophysicien Marc Brullemans, membre du Mouvement citoyen littoralement inacceptable, avait présenté il y a quelques années les risques associés à l’utilisation du gaz naturel dans la chaîne énergétique québécoise. 

« Il faut se rendre compte que le gaz naturel est composé majoritairement de méthane, de CH4, qui contient du carbone. Quand c’est brûlé, ça se transforme en C02, le gaz à effet de serre qu’on connaît le mieux. Le méthane est un gaz à effet de serre plus qui réchauffe le climat encore plus que le C02 », expliquait-il alors. Ces fuites et leurs conséquences sur l’environnement préoccupaient particulièrement les opposants au projet. 

Une perte de 2 ou 3 % dans le processus doublerait l’effet de la combustion du gaz naturel.

Les impacts sur les espèces en péril comme le béluga sont également un argument contre l’implantation d’un complexe de liquéfaction de gaz naturel à Saguenay et ses corollaires : un gazoduc et une augmentation importante du trafic maritime.

Le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services évalue que l’usine produirait l’équivalent de 704 kilotonnes de CO2 annuellement. Ajouter l’extraction, le transport et l’utilisation du gaz porterait ce bilan à 45 486 kilotonnes de GES par année.

Ce qu’ils en disent

« On n’est pas à l’étape d’être favorable ou défavorable. Il y peut-être une fenêtre d’opportunité et il va falloir bien l’analyser. C’est ma posture : il faut faire une analyse plus approfondie. On parle de gaz liquéfié, ce n’est pas banal comme produit. Il faut être positif, mais prudent. Il est trop tôt pour se prononcer là-dessus. »

Micheline Anctil, préfète de la MRC La Haute-Côte-Nord

« Si c’est pour amener de la main-d’œuvre, des emplois, on ne crachera pas là-dessus. Là, il y a ben des affaires qui vont passer avec l’affaire à Trump, on n’est pas gros dans la soupière. Je n’en ai pas parlé encore à mes collègues du conseil des maires, mais on va prendre une décision pour avoir une position commune. »

Donald Kenny, maire de Baie-Sainte-Catherine

« Est-ce qu’aujourd’hui ce projet serait plus acceptable ou moins dommageable aux bélugas qu’autrefois ? Notre évaluation serait la même excepté que notre compréhension, les connaissances, la quantité et la qualité des données que nous avons pour appuyer nos inquiétudes sont beaucoup plus importantes et solides aujourd’hui. La situation des bélugas ne s’est pas améliorée et leurs besoins de protection sont tout aussi grands qu’ils l’étaient au moment où ces projets-là ont été évalués. Ces projets auraient des impacts potentiellement importants qui iraient contre les efforts de rétablissement, qui pourraient ralentir le rétablissement ou même précipiter un déclin possible qu’on voit poindre dans la population de bélugas du Saint-Laurent. »

Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins

« Depuis la mort du projet GNL-Québec, le Mouvement citoyen littoralement inacceptable (MCLI) est en veilleuse. […] Je suis convaincue que la relance de ce projet est une proposition électoraliste irréaliste et même tout à fait saugrenue dans le contexte des changements climatiques. Je suis également convaincue que le mouvement citoyen pourrait se réanimer si cette proposition devait être prise au sérieux. Ce qui n’est pas le cas pour le moment. »

Marie Saint-Arnaud, membre du MCLI et du Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec.