La Côte-Nord de l’année 2100

Par Emelie Bernier 5:00 AM - 13 février 2025 Initiative de journalisme local
Temps de lecture :

Le couvert neigeux est appelé à évoluer. Pixabay

À quoi ressembleront nos saisons dans les années à venir ? Davantage d’épisodes de pluie intense, une diminution des nuits très froides en hiver, plus de journées caniculaires en été, des printemps et automnes en mutation : le météorologue Christopher McCray fait le tour de la question. 

Le climat change, et nous ?

N’en déplaise à Donald Trump et consorts, le fait que la planète se réchauffe en raison des gaz à effet de serre est indéniable. 

« À l’échelle planétaire, la température a augmenté de 1,3 degré en moyenne depuis la fin du 19e siècle. Le Québec se réchauffe deux fois plus rapidement que le reste de la planète, un phénomène encore plus important l’hiver que les autres saisons. On commence à voir de grands changements en hiver à l’échelle du Québec et on projette un réchauffement important au cours des prochaines décennies », explique M. McCray.

Les indicateurs sont nombreux et risquent de s’accélérer.

Plus de précipitations et de canicules

Précipitations, températures, période de gel : chez Ouranos, tout est étudié dans le détail pour comprendre ce qui nous attend. Et nous y préparer. 

« L’augmentation des températures et des précipitations vont souvent ensemble. Plus il fera chaud, plus on s’attend à des précipitations. À l’échelle annuelle, on s’attend à 10 à 15 % de plus de précipitations d’ici la fin du siècle, incluant pluie et neige. Ça va dépendre des régions, mais dans les endroits où la température va dépasser le seuil de zéro degré, il y aura plus de neige que de pluie. »

Les régions réagiront différemment selon leur latitude.

« Dans le Grand Nord, par exemple, il fera assez froid pour que ça se traduise par plus de neige. Mais plus au sud, plus près du fleuve, on va avoir de plus en plus des conditions pour avoir de la pluie plutôt que la neige en hiver, ce qui était assez rare », indique le météorologue et chercheur.

Christopher McCray est météorologue chez Ouranos, ce pôle d’innovation et de concertation réunissant plus de 450 experts, dont la mission est de soutenir la société québécoise dans sa résilience et son adaptation face aux variations climatiques. Même si certains adeptes du déni climatique mettent en doute les fondements mêmes de la mission d’Ouranos, les chercheurs travaillent d’arrache-pied. Et les projections leur donnent raison de le faire. Photo GitHub

Les changements les plus drastiques seront toutefois observables, fin automne et début printemps.

« La période de gel, soit au moins 4 nuits consécutives avec des températures inférieures à zéro, est un indicateur que nous suivons. Aujourd’hui, pour la Côte-Nord, elles s’étendent de début octobre à fin mai. D’ici 2050, on projette une réduction de 2 semaines de cette période et d’ici 2100, de 3 à 4 semaines, selon le scénario selon à quel point on réduit ou pas les émissions de GES. »

De moins en moins de nuits très froides

Le froid extrême est également en diminution. « C’est peut-être positif pour les humains, mais pas toujours pour les espèces et ça peut amener des effets très négatifs comme de nouveaux insectes par exemple », explique Christopher McCray.

On calcule le froid extrême entre autres par le nombre de nuits où la température franchit la barre des -25 degrés Celsius.

« Sur la Côte-Nord, dans les années 1970, on avait autour de 30 à 35 nuits de -25 par an. Aujourd’hui, c’est plutôt autour de 25, donc une dizaine de moins. Si on regarde l’horizon 2050, on parle d’autour de 15, et vers 2100, de 3 à 7. C’est un indicateur qui démontre clairement l’effet du réchauffement moyen planétaire sur la température qu’on vit en hiver. »

Où est la glace ?

La disparition de la glace dans l’estuaire est un autre symptôme des changements climatiques. 

« Avant il y avait la période d’englacement qui était assez longue, ce qui protégeait les côtes, et là, on voit de moins en moins de glace et donc, l’eau est de plus en plus libre. Quand il y a une tempête, avec les vents, la marée, ça monte et ça fait de l’érosion plus rapidement. C’est une tendance qui devrait continuer, malheureusement », ajoute le spécialiste.

Tout feu, tout flamme

Les feux de forêt sont également dans la mire d’Ouranos.

« D’un côté, on a plus de précipitations avec le réchauffement, mais de l’autre, plus il fait chaud, plus l’eau au sol va s’évaporer, donc le risque de sécheresse peut devenir plus intense, avec cet effet d’évaporation. Si le couvert neigeux moins important fond plus rapidement, ça peut amener des conditions pour des feux de forêt », explique le météorologue d’Ouranos.

Avec la hausse des températures moyennes vient la hausse de la chaleur extrême.

« Le nombre de jours de 30 Celsius et plus est un indicateur de chaleur important. Pour le moment, ils sont assez rares sur la Côte-Nord, mais ça va commencer à arriver d’ici les prochaines années, de plus en plus souvent. Ça peut affecter les gens peu habitués à avoir une chaleur aussi intense. Tout est relatif ! Si on est habitué à un climat chaud, c’est plus facile de s’adapter. »

Gare aux pluies torrentielles

Les épisodes de pluies intenses augmenteront. 

« On en a vu plusieurs depuis les dernières années et on s’attend à une hausse de ce type d’épisodes en été et en automne, au cours des prochaines décennies. »

Même si l’oracle d’Ouranos peut sembler déprimant, tout n’est pas que négatif, rassure M. McCray.

« Le côté positif, c’est qu’il y a quand même, au cours des dernières décennies, eu beaucoup d’action pour réduire les émissions. Si on recule de 10 ans, les projections nous mettaient à environ 4 degrés de réchauffement d’ici la fin du siècle, et là, on est à 3. On est quand même loin du 1,5 qui est le seuil fixé par l’accord de Paris (…) Mais on a gagné un degré. Ça démontre que les pays sont capables de mettre en place des mesures. Il y a un certain mouvement, mais ce n’est clairement pas suffisant. Tant que les émissions ne sont pas à zéro, le climat va continuer à changer. »

L’arrivée du « climato-négationniste » Donald Trump à la tête d’une des plus grandes puissances mondiales n’est pas une bonne nouvelle.

« Les gaz à effet de serre ne reconnaissent pas les frontières », conclut le météorologue.