La fin de l’ère Picard à l’Assemblée des Premières Nations

Les élections tenues le 25 février détermineront le prochain chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador. Ghislain Picard occupe ce poste depuis plus de trois décennies. Photo Robert Skinner
À la veille des élections qui couronneront le successeur de Ghislain Picard, le temps est venu pour le chef innu de tirer sa révérence. Retour sur une carrière de plus de trois décennies à la tête de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador.
D’abord impliqué au sein du Conseil atikamekw-montagnais, Ghislain Picard devient chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) en 1992.
Dès lors, l’homme originaire de Pessamit entreprend la défense des intérêts, sur différents fronts, des 10 nations représentées par l’assemblée.
«Le rôle de Ghislain a été de poser les bonnes questions quand il y a eu des situations où il fallait agir ensemble contre la discrimination, le racisme», décrit Konrad Sioui, lui-même chef de l’APNQL pendant six ans.
Ghislain Picard, Konrad Sioui et Stanley Vollant lors d’une rencontre dans le cadre de l’événement KWE! À la rencontre des peuples autochtones, en 2023.
«D’être allé devant les tribunaux, d’avoir fait le plan d’action pour la lutte contre la discrimination et le racisme, d’avoir défié tous les gouvernements québécois les uns après les autres, d’avoir été un grand-père, un arrière-grand-père, ce sont des legs incroyables», témoigne la sénatrice Michèle Audette.
Pour l’Innue de Uashat mak Mani-utenam, c’est toutefois la détermination de Ghislain Picard a s’exprimer dans sa langue, en innu-aimun, «à chaque rencontre depuis une trentaine d’années» qui constitue son plus grand héritage.
«Patient» et «rassembleur»
À la tête d’une assemblée profondément divisée sur certains enjeux, M. Picard s’est montré «rassembleur», soulignent Michèle Audette et Marjolaine Étienne, actuelle présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ).
«Quand, autour d’une table, il y en a qui ne se parle pas parce qu’ils ont des litiges, des débats ou des malaises, il doit quand même travailler avec tout le monde», rappelle la sénatrice.
La sénatrice Michèle Audette est originaire de la communauté innue de Uashat mak Mani-Utenam. Son implication lui a valu de collaborer avec Ghislain Picard dans plusieurs dossiers.
«Je n’ai pas la patience qu’il a», continue-t-elle. «Aujourd’hui, je me dis que c’est de l’enseignement pur qu’il nous a donné.»
«Au cours de ses 33 années, il a su porter [l’APNQL] avec tout cœur, avec son âme et toute la passion qui s’y est dégagée», ajoute l’actuelle présidente de FAQ.
Un allié
Pour Marjolaine Étienne, Ghislain Picard «laisse un héritage spécifiquement au niveau des femmes autochtones».
Elle parle notamment de M. Picard comme d’un «allié» dans le dossier de la création du conseil des femmes élues de l’APNQL, alors qu’elle occupait le poste de vice-chef aux affaires extérieures de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. «J’ai eu un bon appui […] qui a pu permettre d’élever nos voix et de concrétiser des initiatives qui touchent les femmes des Premières Nations.»
Présidente de Femmes autochtones du Québec entre 1998 et 2004, Michèle Audette souligne, elle aussi, l’ouverture de M. Picard face aux dossiers parfois «délicats» concernant les femmes des Premières Nations.
«C’est ce legs-là qu’il nous laisse, une place pour les femmes à la table des chefs, [la possibilité] d’avoir une voix forte.»
À l’épreuve du temps
Plus critique du passage de Ghislain Picard à la tête de l’APNQL, Konrad Sioui, fondateur et chef de l’organisation pendant 12 ans, ne manque toutefois pas de souligner la capacité du chef innu à faire perdurer la structure créée en 1985.
«Ghislain a tout le crédit d’avoir maintenu l’assemblée parce qu’on s’aperçoit que, dans d’autres régions, ce n’est pas toujours le cas, indique-t-il. Il y a des schismes sur les questions territoriales, sur les questions des redevances au niveau des traités. Il faut lui donner le crédit, c’est déjà beaucoup.»
Il mentionne tout de même avoir souhaité que «la question territoriale» soit «plus priorisée» par l’APNQL dirigée par M. Picard. «On n’est jamais mieux servi que par soi-même et ce n’est certainement pas le fédéral ou les provinces qui vont gérer ça.»
Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, prend la parole lors d’une conférence de presse sur la Colline du Parlement à Ottawa, le lundi 9 septembre 2024, au sujet de la nouvelle installation de déchets nucléaires de Chalk River.
L’ancien chef de la Nation huronne-wendat reconnait finalement la contribution de M. Picard dans le rayonnement des intérêts, des préoccupations et des réalités des Premières Nations du Québec et du Labrador.
«Ghislain a certainement aidé à ce qu’on en vienne à écrire notre propre version [de l’histoire].»
La suite
Les élections qui détermineront le successeur de Ghislain Picard auront lieu le 25 février. Les 43 chefs des Premières Nations du Québec et du Labrador représentées par l’APNQL confieront à l’un des quatre candidats le mandat de représenter leurs intérêts au cours des trois prochaines années.
Constant Awashish, le grand chef du Conseil de la Nation atikamekw, Cathy Martin, une élue du conseil mi’gmaw de Listuguj, Francis Verreault-Paul, l’actuel chef de cabinet de l’APNQL et Monik Kistabish, ex-cheffe de la Première Nation Abitibiwinni de Pikogan, ont tous démontré leur intérêt à succéder à M. Picard.
«Ça prend quelqu’un qui va avoir un leadership, une excellente connaissance des enjeux, des dossiers et une lecture très précise des jugements de Cour suprême, en particulier. Il faudra connaître le plan international également», prévient Konrad Sioui.
Ghislain Picard a été élu chef de l’APNQL en 1992. Les élections du 25 février sonnent la fin de son rôle comme chef de l’institution. Selon lui, le prochain chef de l’APNQL devra «trancher avec la réaction». «Maintenant, ça va être la proaction. Il faut prendre les devants.»
La sénatrice Michèle Audette prédit que les comparaisons seront nombreuses et difficiles à éviter. «Quand on est habitué à une approche, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, le changement fait peur», dit-elle.
«Le prochain chef, j’espère qu’on ne l’attaquera pas, mais qu’on sera sage en se rappelant qu’on a déjà été là et qu’on fait encore des gaffes, ajoute Mme Audette. Il faudra le soulever lorsqu’il va tomber.»