Elle s’indignait en Crocs jaunes

Martine Michel et ses fameuses Crocs jaunes sont bien connues des militantes nord-côtières. Photo Emy-Jane Déry
Le jour de sa naissance, le père de Martine Michel est parti sur une dérape d’alcool pour célébrer l’événement, laissant sa mère sans nouvelle, nouveau-né dans les bras, pendant trois jours. La femme d’aujourd’hui presque 70 ans est née indignée par les iniquités.
C’était quelque part en France, dans les années 50’. À 21 ans, le père de Martine Michel avait déjà trois filles et « il s’en foutait », résume-t-elle. C’est sa mère, la grand-mère de Mme Michel qui s’occupait de tout.
« Mon Dieu qu’il y avait des choses qui me semblaient injustes », dit la Septilienne d’adoption, depuis maintenant plus d’une vingtaine d’années, en se remémorant son enfance dans « une famille de filles ».
Elle n’a que des sœurs, aucun frère.
« Toute façon, ranger vos poules, on sort nos coqs, disait mon père. »
Pour faire claire, l’expression signifie en gros que les femmes doivent s’effacer devant les hommes.
Elle assure qu’il était pourtant un « gars sympa » son père, mais reste que pour lui, « c’était toute la faute des filles, s’il leur arrivait quelque chose ».
Même sa grand-mère, qui a pris en charge la famille de son fils et qui prônait l’importance de l’indépendance financière pour les femmes, avait une vision, elle aussi, plutôt rétrograde du sort qui attendait ces dernières.
C’est dans ce contexte de début de vie que s’est probablement forgé lentement le désir de parler fort, de s’indigner et de changer les choses pour Martine Michel, alias la femme aux Crocs jaunes.
Elle est arrivée au Québec en 1986. Elle avait 31 ans et un diplôme de documentaliste en poche, qui la destinait plutôt à travailler dans les archives et les bibliothèques. Mais le silence, ce n’était pas pour la militante naturelle qui se révélait de plus en plus en elle.
Quelques années plus tard, elle a commencé à s’impliquer auprès de différents groupes de femmes à Montréal.

La Côte-Nord arrive en 2004. Sa blonde, originaire de la région, s’ennuyait « de la mer et de sa mère ». Un classique !
Elles sont donc venues s’installer. Après la France et Montréal, une troisième nouvelle vie commençait pour Mme Michel. De fil en aiguille, elles ont fait la rencontre de filles qui voulaient mettre sur pied un Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), à Sept-Îles.
« On a retrouvé un peu le côté militant qu’on avait perdu », dit-elle.
À cette époque, il y en avait seulement un à Baie-Comeau.
« Baie-Comeau se retrouvait à servir de Tadoussac jusqu’en Basse-Côte-Nord à trois, quatre travailleuses », illustre-t-elle. « L’étendue du territoire et l’isolement des communautés, c’est un défi qui est vraiment particulier à la Côte-Nord. L’Abitibi et la Gaspésie, qui sont quand même des régions rurales éloignées, n’ont quand même pas autant de défis », note-t-elle.
Il aura fallu des années de travail et beaucoup d’acharnement, mais en 2009, une autorisation a finalement été donnée pour lancer les activités du CALACS de Sept-Îles. L’accréditation officielle n’a été donnée qu’en 2012, par le CISSS de la Côte-Nord.
Martine Michel y a été à la tête à partir de ses tout débuts, jusqu’au moment de sa retraite, il y a deux ans. Elle est toujours très impliquée dans la région, notamment sur le conseil d’administration du Regroupement des femmes de la Côte-Nord. D’ailleurs elle a été célébrée par sa relève, lors de la soirée anniversaire des 15 ans de La pointe du jour CALACS Sept-Îles, en septembre. On lui a remis une œuvre au crochet de l’artiste Laurence Lainesse. On y voit Martine Michel debout, en pleine marche des journées d’action contre les violences sexuelles faites aux femmes, avec ses Crocs jaunes, toujours.

Malgré son départ, la roue tourne, car les besoins des femmes eux, demeurent. Le CALACS de Sept-Îles a d’ailleurs emménagé dans ses nouveaux locaux, la semaine dernière. À l’aube de la journée des droits des femmes, le 8 mars, des mobilisations s’organisent pour souligner l’événement. À Sept-Îles, une marche partira du palais de justice jusqu’au Centre femmes aux 4 vents. En soirée, l’humoriste Mélanie Couture sera en spectacle au Centre des congrès.
Encore à faire
Entre sa naissance chaotique en France et sa retraite du CALACS de Sept-Îles, les choses ont quand même évoluées et pour le mieux. À ce jour, les femmes sont plus entendues, concède Martine Michel.
Et les Nord-Côtières sont avant-gardistes. Puis, quand elles ont une idée en tête, elles foncent, assure Mme Michel, rappelant la saga de l’ex-maire de Baie-Trinité.
Reconnu coupable d’agression sexuelle sur une employée municipale en 2015, Denis Lejeune avait causé tout un malaise en décidant d’abord de demeurer en poste.
Avec les groupes de femmes, la victime s’est battue pour faire changer les choses. L’histoire avait fait grand bruit à la grandeur de la province.
« On a travaillé avec le député Ouellet pour que la loi, au niveau provincial, les maires qui sont accusés d’agression sexuelle, ne soient plus éligibles. »
N’empêche qu’à travers les gains, ils demeurent des faits que le temps n’a pas encore permis de changer.
« Les problèmes de la Côte-Nord, ce sont toujours les mêmes. On est en région éloignée, les femmes sont toujours isolées », souligne-t-elle. « Elles sont fortes les femmes de la Côte-Nord, car elles doivent se débrouiller avec leurs enfants, tenir le foyer en place, parce que les conjoints sont toujours partis. C’est une réalité régionale. »

Martine Michel aimerait que les femmes de la région aient plus d’issues économiques.
« Une femme qui se sépare de son conjoint ici, son niveau de vie prend le bord. À moins qu’elle soit enseignante ou dans le système de santé (…) sinon, les réalités des femmes, ce ne sont pas de gros salaires », dit-elle. « Souvent, leurs revenus sont considérés comme des salaires d’appoint, mais s’il n’y avait pas ce salaire-là, la plupart du temps, les ménages ne tiendraient pas financièrement. »
Et il y a la réalité des petits villages, également.
« Une femme victime de violence conjugale à Rivière-au-Tonnerre. Elle fait comment pour partir ? Elle fait comment pour dénoncer son conjoint ? Dans le village (…) Qu’est-ce qu’elle fait si elle veut partir, mais qu’elle ne veut pas enlever son enfant de l’école ? », soulève Martine Michel.
À cela s’ajoutent des enjeux d’accès aux transports, d’accès aux soins. Rappelons qu’en Minganie, les femmes sont obligées de quitter leur cocon familial pendant des semaines pour aller accoucher à Sept-Îles, des centaines de kilomètres plus loin.
Quelque chose à ajouter Martine Michel ?
« J’aurai toujours quelque chose à dire, il ne faut pas me relancer ! »