Chronique de Réjean Porlier ǀ Témoin, victime ou acteur du changement

Par Réjean Porlier 6:00 AM - 9 mars 2025 ex-maire de Sept-Îles
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J’aurais pu ajouter ma voix et profiter de cette chronique pour dénoncer les tarifs de 25 % que Trump vient d’imposer au Canada, mais reste-t-il quelque chose à ajouter ? Il y a peu à faire contre le narcissisme, la folie et l’abus de pouvoir sinon de se tenir debout et serrer les coudes. Et c’est ce qui nous fait le plus mal en ces temps troubles : notre capacité à réfléchir collectivement.

Avouons-le, nos vieux réflexes démocratiques sont un peu rouillés, à force de se faire dire que la vie consiste à en profiter aujourd’hui, maintenant ! Mais s’il est possible aujourd’hui de jouir de cette vie au Québec, dans des conditions que bien des pays aimeraient faire leurs, c’est que se sont opérés au début des années 60, de grands changements économiques, sociaux et même culturels.

C’est la Révolution tranquille qui aura mis la table à l’émergence d’une classe moyenne, laquelle allait exiger, souvent par le biais des syndicats, des conditions de travail décentes et l’accès aux loisirs. À ne pas douter, cette classe moyenne est devenue un important rouage dans l’économie de nos sociétés modernes. Elle contribue aux entreprises primaires par sa force ouvrière et à l’explosion d’une économie parallèle par sa prédisposition naturelle à réinjecter l’essentiel de la rémunération dans celle-ci.

Plus encore, l’endettement moyen des ménages ne cesse de battre des records. Si ça, ce n’est pas un moteur économique… Une classe moyenne forte représente ni plus ni moins qu’un partage de la richesse, qui au bout du compte, profite à tout le monde. Il reste un élément clé à maintenir en place pour assurer le précieux équilibre d’un système comme le nôtre et c’est ce qu’on appelle le filet social.

C’est l’espace public où l’État intervient pour essayer d’éviter qu’il y ait des laissés pour contre : santé, éducation, revenu minimum garanti, etc. C’est ce qui assure un minimum de dignité à chaque individu. Prendre soin des plus faibles est pour ma part un indicateur toujours d’actualité, lorsqu’il est question de mesurer la santé d’une démocratie.

Pourquoi parler de tout ça aujourd’hui ? J’entends les jeunes dire « c’est du passé tout ça mon oncle ». Certes, la Révolution tranquille est derrière nous, mais le discours libertarien du chacun pour soi prend de l’ampleur et ouvre la porte à l’extrême droite, un peu partout dans le monde. Le vocabulaire change : on ne parle plus de filet social, mais d’état providence. Car plutôt que de questionner ses dérives, ce qui demande un minimum d’effort et de rigueur intellectuels, certains aspirent à faire tomber le seul système qui se soit attaqué sérieusement au partage de la richesse. L’universalité a un coût, mais le retour sur l’investissement est inestimable.

L’universalité, c’est ce qui atténue l’écart grandissant entre les classes et maintient un équilibre souvent fragile.

Je n’ai aucun problème avec les gens qui questionnent ou critiquent les choix de nos gouvernements, qu’ils soient municipaux, provinciaux ou fédéraux. Au contraire, occuper une fonction publique ce n’est pas jouir d’une immunité et surtout pas se soustraire à la reddition de compte, mais j’avoue qu’il y a un argument que je ne peux plus entendre : pourquoi payer pour quelque chose que je n’utiliserai pas ?

Une simple phrase qui démontre beaucoup d’ignorance sur les fondements de l’universalité. À ce compte-là, l’éducation, les soins de santé, les infrastructures sportives et culturelles, bref tout ce à quoi nos gouvernements contribuent actuellement, seraient réservés aux mieux nantis. Est-ce là la société à laquelle on aspire après avoir traversé toutes ces révolutions ?

On a toujours le choix d’être victime, témoin ou un acteur et chaque crise est une opportunité de choisir son camp. Laissons la victimisation aux libertariens qui n’ont jamais voulu de ce système plus universel, sauf pour en profiter chaque fois qu’ils en ont eu besoin, déjouant les failles du système ici et là.

Comme Jean-François Lisée l’écrivait récemment face à cette montée de la droite et des bouleversements géopolitiques qui se déploient sous nos yeux « serons-nous uniquement de simples témoins de ces changements ? »

J’aime à penser que nous serons plutôt des acteurs prêts à nous mouiller ici et là, à la hauteur de nos possibilités, au risque de faire une différence et donner à la démocratie une chance de reprendre son souffle. 

Je rêve de ce retour en force d’une génération de politiciens visionnaires, d’abord inspirés par les fondements de notre démocratie et l’égalité des chances.

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