OPINION | Je me nomme Nolan

Par Érika Glazer-Gauthier 12:00 PM - 26 avril 2025 Citoyenne de Baie-Comeau
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Photo Érika Glazer-Gauthier

Je me nomme Nolan. Mais mon nom, il ne fait pas écho dans les grandes tours du gouvernement. Pas ici, pas chez nous.

Je suis né un après-midi d’août 2020, sur la Côte-Nord. Là où la mer respire avec nous, où les arbres sont plus vieux que le temps, où le vent connaît le nom des enfants avant même qu’ils parlent.

Mes parents m’ont voulu ici. Ils pensaient qu’en m’offrant le fleuve, la paix, les odeurs de pin, ils me donnaient tout. Ils croyaient que la santé, ça se donnait comme un doudou. Ils croyaient que ça venait avec la vie.

Mais non.

Quand je suis né, ils ont appris que mon petit cœur battait différemment.

Ils soupçonnaient un Syndrome du QT long. Alors, j’ai dû partir. Tout petit, déjà loin.

Un avion, des blouses blanches, des mots que je ne comprenais pas. Je suis revenu.

Mais à six semaines, tout s’est refermé. Mon corps refusait le lait, mon ventre se bloquait. C’était une sténose du pylore. Une urgence. Là, j’ai vraiment failli mourir et mes parents ont pleuré dans le silence de la cuisine, pendant que moi, je partais encore.

Encore.

Je suis revenu, encore une fois. Vivant mais marqué.

Puis, en octobre 2020, le diagnostic du QT long est devenu une certitude. Une corde invisible attachée à mon quotidien. Une réalité qu’on n’avait pas invitée, mais qui ne repartira jamais.

Malgré tout ça… moi, je suis tombé amoureux de ma terre. J’aime les rochers, les tempêtes, les goélands. Je veux grandir ici, avec les bottes pleines de sable et le cœur rempli de vent salé. Je veux rester. Mais j’ai l’impression qu’ici, on ne veut pas qu’on reste.

Pas parce qu’on ne nous aime pas mais parce qu’on nous oublie.

En avril 2022, on a dit que j’avais un retard de langage que mes mots étaient en retard, comme un train manqué. On m’a mis sur une liste. On a dit à mes parents 900 jours de délai d’attente minimum. C’est long, 900 jours, quand t’as pas encore cinq ans. C’est une éternité pour quelqu’un qui veut juste parler.

Pendant ce temps-là, j’ai appris mes premiers mots. J’ai appris “maman“, “papa ” mais aussi “Drakkar” C’est le nom de notre équipe de hockey et “hockey”. Parce que c’est ça qui vibrait dans ma tête quand les phrases ne sortaient pas. J’ai appris à aimer avant d’apprendre à dire.

Mais les mots, ils ne venaient pas assez vite. Alors en mars 2025, mes parents ont craqué, pas de colère ni de peine mais de fatigue. Ils ont sorti leur compte $$$. Ils ont payé un orthophoniste privé pour qu’enfin, quelqu’un m’écoute et avec les papiers du privé, on a pu entrer par la porte d’en arrière dans le public.

C’est pas normal. C’est pas normal qu’on doive acheter le droit d’être aidé.

Aujourd’hui, j’ai quatre ans. Je vais à l’école bientôt mais dans la cour, dans la classe, dans ma tête, je me perds souvent. Je me tais, je suis incompris. Pas parce que je n’ai rien à dire. Parce que j’ai appris que c’était plus facile de rien dire que d’être mal compris. Des fois, j’ai l’impression que je dérange, juste parce que je veux qu’on m’entende.

C’est pas normal qu’un enfant doive se battre pour avoir le droit de parler. C’est pas normal qu’un enfant doive traverser autant de silence pour être entendu.

J’ai de la chance, j’ai un CPE mais d’autres enfants? Ils en ont pas et leurs parents pleurent le soir parce qu’ils savent plus quoi faire.

Si j’avais une minute, juste une, pour parler au gouvernement, je leur dirais :

J’existe. Même si vous ne voyez pas mon nom sur vos priorités, je suis là et je ne suis pas seul.

Je leur parlerais de ceux qui m’entourent : les éducatrices, les professionnels, les gens en santé, les gens en éducation. Ils donnent tout. Ils donnent trop. Ils tiennent debout malgré les manques mais ils sont à bout. Ils ne peuvent plus compenser pour l’oubli et le manque de relève.

Regardez-moi.

Pas avec vos budgets mais avec vos cœurs.

Je suis un petit garçon de la Côte-Nord mais je suis aussi la preuve que votre système ne fonctionne plus depuis longtemps et rien n’ira en s’améliorant avec Santé Québec. Les listes sont trop longues et que les services se font rares. Que les professionnels sont trop épuisés pour continuer à compenser l’oubli.

Et pendant que vous voulez laisser Hydro-Québec s’éloigner de nos mains, pendant que vous ouvrez la porte aux privées, nous, les enfants, on essaie juste d’avoir un rendez-vous. Une place. Une voix. On gratte les murs pour avoir de l’aide. On attend. On pleure. On espère.

Moi, je veux rester ici. Vivre ici. Devenir quelqu’un d’ici mais est-ce qu’il restera encore quelque chose pour nous?

Je vous demande pas un miracle. Je vous demande juste de nous entendre de nous voir et de nous croire.

Parce que même si mon nom ne compte pas pour vous, moi, je suis Nolan.

Et j’existe, pour vrai.

Je voudrais juste que vous m’écoutiez, pas avec des rapports avec votre cœur.

Vous m’avez laissé tomber. Vous avez laissé tomber mes mots, mes chances, mes rêves. Vous avez laissé tomber tous ceux qui essaient de nous aider : les éducatrices, les profs, les orthophonistes, les intervenants en santé, etc.

Ils sont à bout de souffle. À bout de cœur.

Et pendant que vous parlez de projets, de profits, que vous vendez ce qu’on a de plus précieux et que vous vous votez une augmentation de salaire de 30%, on attend, ici, en silence.

Parce que même si mon nom n’est pas important pour vous, moi, je veux avoir le droit d’exister pour vrai.

Mais je vois bien que ce n’est pas facile.

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