Un rorqual hybride dans le Saint-Laurent

Mona Lisa, hybride mâle entre un rorqual commun et un rorqual bleu. Photo Renaud Pintiaux photographe animalier
Un individu unique est de retour dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent cette année. Mona Lisa, le fruit d’une union insolite entre un rorqual commun et un rorqual bleu, est un de ces cas d’espèce rare qui apporte de nouveaux questionnements dans l’univers scientifique des grandes baleines.
On en connaît assez peu sur l’individu mi-rorqual bleu et mi-rorqual commun, sinon que ce type d’hybridation est possible dans la nature.
Sa première identification remonte à 2006 à Mingan par les chercheurs de la station de recherche des îles Mingan (MICS), un organisme dédié à l’observation des baleines basé à Longue-Pointe-de-Mingan.
Le biologiste Julien Delarue, maintenant un ancien du MICS, avait eu la suspicion qu’il s’agissait peut-être d’un individu hybride lorsqu’il l’avait observé à l’époque. Une biopsie effectuée en 2012 par un autre biologiste Christian Ramp a confirmé l’hypothèse.
Cependant, elle tombe un peu dans l’oubli et aucun suivi n’avait été effectué au MICS en raison du roulement de personnel.
« C’est Julien qui rentrait les observations dans le catalogue et, à cette époque-là, ces informations étaient restées un peu en dormance et n’avaient pas nécessairement de suivis », assure René Roy, un observateur bénévole pour le MICS.
C’est grâce à des efforts concertés de Julien Delarue, du photographe animalier basé en Haute-Côte-Nord, Renaud Pintiaux, et de René Roy que son existence a pu être retracée, sans quoi Mona Lisa serait tombée dans l’oubli.
Une œuvre de la nature
C’est de cette façon que Renaud Pintiaux définit Mona Lisa, qu’il a aperçue et photographiée pour la première fois en 2024 et revue en 2025.
« C’est vraiment un mélange parfait entre un commun et un bleu, et c’est ça qui est fabuleux. C’est une œuvre de la nature », raconte-t-il en entrevue avec le Journal.
Ce dernier indique que l’hybride a davantage un comportement de rorqual bleu, en particulier dans ses déplacements et lors de ses plongeons.
« Ça lui est arrivé de montrer la queue en plongeant, ce que ne font jamais les rorquals communs », dévoile-t-il.
Le photographe rapporte également l’avoir repérée à quelques reprises, où elle était souvent seule, « sans se mêler aux autres rorquals communs », un comportement typique de rorqual bleu.
Lui qui l’a vu de près confirme que sa pigmentation rappelle celle du rorqual bleu avec une légère différence de ton.
Il faut savoir que pour l’instant, les recherches démontrent que seuls les rorquals communs mâles et les rorquals bleus femelles peuvent donner naissance à ce genre d’individu.
Point d’interrogation pour la conservation
Malgré sa morphologie unique et sa nature intrigante, Mona Lisa apporte son lot de questionnements.
Le site web du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins, Baleines en direct, cite dans un article une étude au sujet de l’hybridation rapportant que 3,5 % de l’ADN des rorquals bleus de l’Atlantique Nord serait issu de leur cousin commun, ce qui laisse penser que des mélanges ont bel et bien pu avoir lieu par le passé.
Cependant, les rorquals bleus sont une espèce en voie de disparition avec une population mondiale variant entre 5 000 et 15 000 individus, tandis que les communs sont évalués aux environs de 100 000 individus et leur état est davantage stable.
Les chercheurs de Baleines en direct émettent le doute que cette stratégie d’hybridation pourrait être un moyen de palier au manque de partenaires, ce qui n’aide pas formellement le rétablissement de l’espèce ayant un ADN dit pur.
Le nombre actuel de rorquals bleus est évalué à moins de 10 % de la population mondiale qui a été décimée par la chasse commerciale, et quelque 300 individus fréquentent aujourd’hui le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent.