Chasse au phoque : que dit la science ?

Par Emelie Bernier 5:00 AM - 17 mai 2025 Initiative de journalisme local
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Phoque gris Photo Jocelyn Praud. Archives

Les États généraux sur le phoque du Saint-Laurent récemment annoncés pourraient mener à un déploiement de cette chasse commerciale, aujourd’hui marginale. Joanie Van de Walle, biologiste au ministère Pêches et Océans Canada (MPO), étudie les espèces concernées, dans un contexte lourdement marqué par les changements climatiques.

MPO procède chaque 5 ans à des inventaires des espèces dites commercialement exploitées. Les plus récents inventaires de phoques gris datent de 2021, tandis que ceux de phoques du Groenland ont été effectués en 2022.

Les deux espèces ont des réalités bien différentes, explique Joanie Van de Walle.

« Entre le phoque gris et le phoque du Groenland, il y a une importante différence : le gris est capable d’utiliser d’autres substrats que la glace. On le voit d’ailleurs utiliser presque exclusivement la plage maintenant, même si autrefois, il privilégiait la banquise. Pour le phoque du Groenland, on n’a jamais observé de naissance sur la plage, donc c’est une espèce beaucoup plus dépendante de la glace. »

Les phoques du Groenland ont « besoin de la glace ». « Et pour plusieurs raisons, dont la mise bas, mais aussi pour la nourriture qui est associée à la présence de glace dont pour s’alimenter et avoir des réserves suffisantes pour donner naissance, dans le cas des femelles », explique la chercheuse.

Des études en cours se penchent sur cette corrélation et font notamment le lien entre les conditions de glace et les taux d’avortement et de reproduction. « Il y a plus d’avortement quand les glaces sont moins bonnes. Ce sont des choses qu’on suit de près », indique Mme Van de Walle. 

Les conditions environnementales, désormais incluses dans les analyses des inventaires sur le phoque du Groenland, ont un impact de plus en plus grand sur la mortalité des jeunes.

« Avant, la récolte était la principale cause de mortalité des jeunes, mais ça a changé au cours des années. On a plein de causes maintenant, dont celles liées aux conditions environnementales. Les conditions de glace, la température de l’eau affectent négativement les jeunes qui ont un plus fort taux de mortalité à cause de ces conditions changeantes », indique la biologiste. 

Les conditions environnementales changeantes ont des impacts certains sur les populations de phoques. DFO

Changements climatiques=incertitude

La capacité des chercheurs à prédire ce qui va se passer dans le futur est de plus en plus limitée, en raison des changements climatiques. « Il y a beaucoup d’incertitude par rapport à la glace, à la température générale de l’eau et comment ça affecte l’écosystème en général. Ça, c’est intéressant, mais très compliqué, surtout pour des espèces marines. À très court terme, on peut faire certaines prédictions, mais au-delà de 5 ans, ça demeure difficile. C’est sûr qu’une approche de précaution est de mise dans ce contexte. Des espèces subissent des impacts positifs, d’autres négatifs, certaines s’adaptent mieux que d’autres… »

Le phoque gris, par exemple, semble mieux réagir que son vis-à-vis du Groenland.

« En l’absence de glace, le gris met maintenant bas sur les plages. Ce n’est pas dit que ceux du Groenland ne vont pas trouver une façon de s’adapter à cette nouvelle réalité eux aussi. On pense qu’ils viendront beaucoup moins dans le golfe, étant donné qu’il n’y a presque plus de glace et qu’ils vont aller plus dans le nord. Ce n’est pas dit que dans le futur, ils ne seront pas capables de montrer d’une certaine résilience », estime la biologiste.

Le travail du MPO est de tenter d’établir des taux de récolte qui ne mettront pas l’espèce en péril, en faisant des simulations incluant des taux de récolte, de mortalité naturelle, notamment.

« On fait des simulations et on regarde ce que ça donne sur la population et où la population risque de se trouver par rapport à certains seuils et selon les objectifs de gestion de MPO », illustre la chercheuse.

Selon la stratégie des phoques de l’Atlantique, les stocks ne devraient pas se trouver en bas de 70 % de la capacité de support du milieu.

« On se base sur notre compréhension actuelle de ce qui fait fluctuer l’abondance de la population pour essayer de prédire le futur. On fait des efforts pour inclure dans nos simulations ce qui pourrait se passer. Ce n’est pas une science exacte. »

Pour ou contre la chasse

MPO ne se positionne pas contre la récolte du phoque. Sa mission est de l’encadrer, pour éviter que les populations ne descendent sous leur seuil viable. 

« Le phoque gris est une espèce abondante et MPO est en faveur de la chasse, c’est juste qu’il faut garder en tête que c’est un stock dynamique. Il y a la récolte, oui, mais aussi les changements environnementaux qui sont une source qu’on ne considérait pas avant et dont il faut tenir compte », indique Joanie Van de Walle. 

Pour l’instant le ministère n’a pas établi de quotas depuis 2016. 

« Basées sur notre compréhension de l’état des stocks des dernières années, les estimations de récolte possible sont assez élevées. C’est pour ça qu’il n’y a pas de quotas qui ont été annoncés, parce que la récolte réelle est bien en deçà des recommandations de la science. »  

Si la chasse est étendue, il faudra éviter que les populations descendent sous les seuils viables. « Au MPO, on supporte la chasse, mais il faudrait que ça respecte les principes de précaution », conclut Joanie Van de Walle.

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