Les Hells ne perdront pas la guerre sur la Côte-Nord, selon des experts

Roger Ferland a connu une carrière de 35 années comme policier au sein du Service de police de la Ville de Québec, dont plus de la moitié comme enquêteur dans le milieu du crime organisé. Il a fait partie de l’escouade Carcajou, mise sur pied en 1995 à la suite du décès tragique du jeune Daniel Desrochers, victime collatérale de l’explosion d’un véhicule piégé lors de la guerre des motards. L’escouade Carcajou fut démantelée en 1999, pour laisser place à des escouades régionales mixtes d’enquêtes. Photo Alexandre Caputo
Malgré la guerre qui fait rage depuis plus de deux ans pour le contrôle du trafic de stupéfiants dans la région de Sept-Îles, des enquêteurs retraités ont du mal à voir comment les Hells Angels pourraient complètement perdre leur emprise sur ce territoire, où ils règnent depuis si longtemps.
« Il va encore y en avoir [de la violence] et ils [les BFM] vont continuer de s’essayer, mais la loyauté locale va faire la différence », avance Roger Ferland, enquêteur retraité du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), comptant plus de 17 ans d’expérience dans le domaine de la lutte au crime organisé.
Selon M. Ferland, on ne parle pas ici d’une loyauté de la population envers l’organisation criminelle, mais plutôt d’une retenue des citoyens à dénoncer des individus qu’ils connaissent peut-être depuis longtemps.
« Ce sont souvent des criminels locaux qui réussissent à prendre le contrôle. Le [membre des] Hells peut avoir une poignée de dix gars [à sa charge], qui eux ont aussi dix gars, et ils sont peut-être tous impliqués dans la ville, donc tout le monde finit par se connaître », dit-il. « Il y a un sentiment de communauté et les gens sont plus liés, donc c’est plus long de vouloir dénoncer. C’est une réalité qui est plus propre aux régions éloignées. »
Pas en claquant des doigts
Ne prends pas le contrôle d’un territoire immense comme la Côte-Nord qui veut. Surtout pas en matière de trafic de drogues. Autrefois témoin expert en ce qui touchait au crime organisé, M. Ferland croit que la course à la gloire et la richesse instantanées menée par la nouvelle vague de criminels est naïvement dangereuse.
« Il y a des jeunes qui s’autoproclament rois de la Côte-Nord, mais attends, ça se mérite. » — Roger Ferland
« Peu de gens réalisent à quel point ç’a été long pour les motards avant d’arriver où ils en sont. Il y a eu beaucoup de violence, mais aussi beaucoup d’effort de discrétion. Là, il y a des jeunes qui s’autoproclament rois de la Côte-Nord, mais attends, ça se mérite », souligne M. Ferland. « Il y a un paquet de jeunes qui veulent arriver à réussir, qui pensent avoir du guts, mais ils ne sont pas conscients de la vraie vie », déplore-t-il.
Fini, le « contrôle absolu »
Simon Godbout, enquêteur retraité de la Sûreté du Québec ayant œuvré plus d’une dizaine d’années dans les escouades d’enquêtes sur le crime organisé, abonde dans le même sens. Il nuance toutefois, en soulignant que les Hells Angels ne sont plus ce qu’ils étaient.
« Lorsqu’ils [les membres des bandes rivales] vendent sur le territoire des Hells, ils n’ont plus la crainte qu’ils avaient avant. », note-t-il. « Avant, les régions ont toujours été juste aux Hells. […] Les Hells ont encore de l’envergure et vont toujours être sur la Côte-Nord, mais le contrôle absolu, ça n’arrivera plus. »