En novembre 2023, l’île d’Anticosti entrait par la grande porte dans le cercle fermé des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO. Le projet avait été largement défendu par son prédécesseur John Pineault, mais c’est sous la gouverne de la mairesse actuelle, Hélène Boulanger, qu’il a connu son aboutissement. Et c’est à elle qu’il incombe de gérer la multitude de défis qui y sont associés.
Hélène Boulanger n’est pas native de l’île d’Anticosti. D’aucuns pourraient le lui reprocher, mais la plupart la considèrent comme l’une des leurs. La preuve, une majorité sans ambiguïté de 76 % l’a choisie aux élections de 2021, détrônant le maire des cinq années précédentes, John Pineault.
Conseillère municipale depuis 2016, Mme Boulanger était très au fait des défis qui l’attendaient.
« Le dossier du Patrimoine mondial de l’UNESCO est l’un des dossiers prioritaires, mais c’est un dossier qui prend beaucoup d’espace. Il faut mettre les énergies et le temps sur un ensemble de choses. Il va falloir refaire la liste », indiquait-elle en entrevue à Radio-Canada, dans sa première intervention à titre de mairesse, tout juste après l’élection.
Parmi cet ensemble de choses, des dossiers comme l’eau potable, les eaux usées, la gestion des matières résiduelles, le logement, les infrastructures routières, la capacité d’accueil, l’accès à l’île …
Quatre ans plus tard, à l’aube de nouvelles élections (personne, à ce jour, n’a manifesté son intention de tenter de lui ravir son siège), la liste est encore longue. Le nouveau statut UNESCO n’y est pas étranger.
« La situation ici a commencé à changer avant qu’on obtienne la nomination, mais depuis, ça s’accélère », confie Hélène Boulanger, rencontrée dans son bureau du minuscule édifice municipal.
Les bureaux municipaux se trouvent depuis 2022 dans un petit bungalow, année où la SÉPAQ avait dû récupérer les locaux qu’elle louait à la municipalité pour répondre à ses propres besoins d’espace. L’été, la SÉPAQ embauche autant de travailleurs qu’il y a de résidents permanents sur l’île…
Dire que la société d’État est un gros joueur ici est un euphémisme.
Composer avec l’éloignement
Pour illustrer la réalité de sa municipalité, Mme Boulanger s’appuie sur un exemple récent : l’incendie accidentel du seul garage de mécanique insulaire.
« L’enjeu principal, c’est que les Insulaires, on ne vit pas juste une saison de 3 mois comme les touristes, ou de 6 mois, si on ajoute la chasse. Les six autres mois, on est environ 150 sur l’île. Le mécano, il n’a pas de volume à l’année, et pas de relève. Est-ce qu’il va reconstruire ? »
Et la loi de l’instantanéité s’applique ici comme ailleurs. « On veut avoir le service quand on en a besoin. Si tu n’es pas là pour y répondre, les gens vont aller voir ailleurs, hors de l’île… »
Idem pour l’épicerie, par exemple.
« La coop a été redressée, elle a une saine gestion, mais elle aussi a été dans un état de précarité. Devant la possibilité d’une rupture de service, on fait quoi ? Ici, il n’y a pas de garantie. On vit dans la précarité pour chacun des services… », estime la mairesse. Cette précarité est une limite évidente au développement.
Mais les Insulaires ne s’avouent pas vaincus, bien au contraire. « La résilience de la communauté, sa débrouillardise, l’entraide, le système D, ce sont des forces ! », estime la mairesse.
Un bâtiment à 17 M$
Parmi les projets qui la rendent fière, elle ne peut passer sous silence la construction d’un nouvel édifice multifonctionnel qui abritera, outre les bureaux municipaux, l’accueil touristique, la Société de patrimoine d’Anticosti, une salle de réunion multifonctionnelle, une cuisine collective… L’édifice, imposant et coûteux (17 M$) fait grincer des dents certains citoyens, mais la mairesse soutient qu’il était plus que nécessaire.
Tout comme les deux gros projets de réfection d’infrastructures en cours et à venir : l’aqueduc et l’égout.
« On sent que les choses s’accélèrent et c’est clairement un effet de la reconnaissance UNESCO, considérant le nombre d’habitants ici. Ça change la donne, c’est un levier ! Tout le monde bouge pour Anticosti. Je pense que ça a généré une coalition dans différents ministères, c’est énorme… Est-ce que ça va assez vite pour le retard accumulé ? Non. Mais est-ce que ça va plus vite qu’ailleurs ? Oui ! Suffisamment vite ? On va le voir… Il faut maintenir la pression, mais ce que ça fait, UNESCO ? Les gens me répondent quand j’appelle. Et quand j’envoie un courriel, on me répond. »
Du pain sur la planche
Il reste beaucoup à faire sur l’île, mais même les meilleures idées sont difficiles à mener à terme, effet du « coefficient Anticosti ».
« Quand on a déménagé nos bureaux, je suis passée à travers une grande partie de nos archives. J’ai vu les dossiers de tellement de projets qui ont été maintenus pendant des années et qui sont tombés à l’eau : trop compliqué, trop cher… Il y a un certain désabusement et on le comprend. »
L’éloignement aussi. « Quand les enfants quittent pour compléter leur scolarité, souvent, les parents suivent. Il y a du roulement de personnel partout. On ne peut pas se le cacher : tu viens ici, tu changes de pays, de mode de vie. On vit en autarcie. On essaie de créer une dépendance affective, mais ça ne fonctionne pas tout le temps ! », rigole la mairesse.
Pas Venise, ni les Îles
Hélène Boulanger, à la tête d’un des trois seuls conseils entièrement féminins de la province, a hésité avant de prendre la décision de se représenter aux élections.
« Avec les dossiers en plan et à venir, je suis persuadée que j’ai ma place pour apporter de l’aide. Quand tu prends un mandat, c’est un bel apprentissage. J’ai la curiosité d’apprendre, sur toutes sortes de sujets. Être élue, c’est intéressant, simulant. L’estime de soi, tu vas la chercher sur la valeur du bien que tu penses faire. Qu’est-ce que les autres pensent de moi ? Je ne m’en fais pas trop. Je me lève de bonne humeur, j’aime tout le monde. Et j’aime le service, tout court, quel qu’il soit. Et ici, ça tombe que ce service est public. »
Craint-elle que le statut de l’UNESCO et l’éventuel boom touristique qui pourrait y être associé en viennent à menacer l’intégrité de l’île ? Que nenni !
« On n’est ni Venise, ni l’Europe, ni les Îles de la Madeleine. Aux Îles, on parle de 14 000 personnes sur 205 km carrés. Ici, on est 175 pour 7 900 km carrés. La 6e extinction massive va avoir eu lieu avant qu’on touche à l’intégrité d’Anticosti ! », conclut-elle avec un sourire.