Une heure et demie dans le repaire de Florent Vollant

Par Alexandre Caputo 6:00 AM - 14 décembre 2022 Initiative de journalisme local
Temps de lecture :

M. Vollant et son fils, Mathieu McKenzie, ont eu l'amabilité de m'inviter au Studio Makusham pour une entrevue et quelques photos.

Au volant de mon véhicule, je me gare dans l’allée du Studio Makusham à Maliotenam et j’appelle Mathieu McKenzie, le fils de Florent Vollant, pour l’avertir de mon arrivée. Je suis fébrile à l’idée de rencontrer une véritable légende de la culture musicale. J’observe le studio qui est d’une taille semblable à celle d’un gros garage double. Il est directement dans la cours arrière du domicile de M. Vollant. À ce moment, je ne peux m’empêcher de m’estimer privilégié, car avec l’état de santé précaire de Florent Vollant, peu de journalistes sont en mesure d’obtenir beaucoup de temps en sa présence.

Mathieu me serre la pince avec son habituelle bonne humeur et grimpe la rampe d’accès menant à la porte arrière de la maison. Il en ressort deux minutes plus tard, accompagné par son père.

C’est à cet instant que j’aperçois Florent, alors qu’il avance tranquillement à l’aide de sa marchette.
Je vais donner un coup de main à Mathieu, pour l’aider à descendre la rampe d’accès glacée. Florent me salue en me souriant paisiblement.

«Maudite glace! Avant j’avais toujours des crampons sur mes bottes », me dit-il, après que je lui aie demandé s’il voulait que j’aille lui chercher ses patins.

Florent et Mathieu m’invitent à entrer dans le studio.

Les arômes enivrantes et réconfortantes de feu de foyer et d’encens prennent mon sens olfactif d’assaut. Les toiles à saveur autochtone et les murs de bois viennent complémenter le tout.

Tandis que Florent prend place sur un divan, son fils me fait visiter le mythique espace de création.

D’un côté se trouve la salle d’enregistrement, assez grande pour accueillir un orchestre complet. De l’autre, séparée par une porte en vitre, se trouve la pièce des consoles. C’est dans cet espace que Mathieu m’invite à m’asseoir.

Avant même que j’aie pu proposer mon plan d’entrevue Mathieu me dit «on pourrait juste jaser, ça serait le fun».

Tu lis dans mes pensées, Math.

Le téléphone sonne. Le nom d’Émile Bilodeau apparaît sur l’afficheur de Mathieu.

«On va faire un monde meilleur mes amis!», s’exclame le chanteur sur haut-parleur, après avoir pris des nouvelles de Florent et Mathieu.


S’ajuster à la gloire

Parler de célébrité avec Florent m’a permis de réaliser pourquoi il est élevé au rang de légende par ses admirateurs. L’humilité et l’amour qu’il porte pour son public lui ont permis de conserver son cœur d’adolescent et la belle naïveté qui l’accompagne.

«Au début, on ne réalisait pas vraiment ce qui se passait, c’était mieux comme ça je pense!», me dit-il, en faisant référence au commencement de Kashtin. «On prenait ça un jour à la fois et on travaillait fort, tout en s’amusant», poursuit-il.

Le chemin vers le succès, ainsi que le succès en soi n’ont pas toujours été roses. Florent me raconte avec une touche de mélancolie les embûches rencontrées par Kashtin, premier groupe autochtone à connaître une carrière musicale internationale.

«Plus tard, ça a commencé à être plus difficile, Claude [McKenzie] a eu des problèmes de consommation, nous avions un horaire très chargé et la fatigue s’installait», se souvient-il, en hochant la tête de façon contrariée.

Pour Florent, le coup de grâce du légendaire groupe innu aura été un appel de Claude qui l’invitait à faire une tournée des plateaux de télévision aux États-Unis et en Europe.

«Je venais de revenir chez moi, je n’en pouvais plus, j’ai dit à Claude que je n’avais pas l’énergie pour continuer. On peut dire que c’était le dernier clou dans le cercueil de Kashtin», m’avoue-t-il, avec une touche de nostalgie dans sa voix.


«On a sauvé des vies avec le Studio»

Le Studio Makusham est en fonction depuis près de 25 ans et a acquis une importante notoriété à travers le monde musical. Ses créateurs se souviennent des humbles débuts de l’établissement, alors que seule la partie maintenant consacrée à l’enregistrement était construite.

«Ma mère et le reste de la famille étaient tannés d’entendre mon père jouer sa musique dans la maison», se remémore Mathieu, en riant. «Elle lui disait va ailleurs pour tapocher ton drum!», poursuit celui qui a également une belle carrière musicale avec le collectif Maten.

Aidés bénévolement par une centaine de personnes, Florent et Mathieu ont réussi à mettre sur pieds un véritable havre pour les artistes, un lieu de liberté, de partage et de respect.

«Ici, c’est free», m’explique Florent. «Tu peux venir chanter, danser, même que beaucoup d’artistes pleurent en cours de création, ou lorsqu’un de leur projet est terminé. C’est ce qui fait notre paye.»

Au-delà de la mentalité créative qui règne en ces lieux, le Studio a donné à certains un second souffle pour continuer à avancer face à l’adversité.

«Ce qu’on n’entend pas, c’est qu’on a sauvé des vies», me confie Florent Vollant. «Des jeunes qui ont vécu des affaires difficiles et qui voulaient s’enlever la vie, mais qui avaient un talent, les parents nous appelaient. On s’en occupait et on les aidait dans leur cheminement personnel et artistique.»


La musique dans le sang

«Il y avait une guitare dans chaque maison à Malio!», souligne Florent, alors que nous parlons de la relation qu’ont les Innus avec la musique.

Mathieu, lui, se réjouit d’avoir pu grandir avec bien plus qu’une guitare pour assouvir sa soif musicale.« J’ai 43 ans et le Festival Innu Nikamu fête bientôt ses 40 ans. Mes amis et moi, on a grandi avec le Festival, on voyait mon père et Claude sur scène et on capotait »

J’avais justement hâte de demander à Mathieu de quelle façon la carrière de son père avait influencé la sienne et celle du collectif Maten. Le fils de Florent a grandi dans un univers musical, mais n’a jamais ressenti de pression pour en faire une carrière.

Il se souvient de sa première guitare, alors qu’il avait 10 ans. De ses nombreuses fois où Richard Séguin, un ami proche de son père, venait le chercher pour l’amener avec lui en spectacle.

Le moment le plus marquant pour la carrière de Mathieu aura toutefois été un conseil que son paternel lui a un jour partagé.

« Florent m’a fait comprendre que la musique c’est pas juste du fun. Si tu aimes ça et que tu as du talent, il faut que tu travailles fort, sans ça, ça mène à rien », me dit-il.

Lorsque je quitte, Florent m’avoue tout bas qu’un certain Zachary Richard lui avait partagé ce même conseil, paroles qu’il n’a toujours pas oubliées.

Les deux hommes m’avaient déjà accordé une bonne heure et demie et Florent commençait à sembler fatigué. Je me considérais déjà comblé par ce que je venais de vivre, avant que le tandem père-fils se mette à chanter et jouer de la guitare le temps de quelques photos.

C’est ce qu’on appel de la grande classe. Merci les gars, joyeux Noël et à la prochaine!