L’envers d’une énergie verte: Hydro au pays des animaux

Par Émélie Bernier 6:00 PM - 1 mars 2023 Initiative de journalisme local
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Cet aigle a fait l’objet d’un suivi télémétrique pendant plusieurs années. Photo courtoisie Hydro-Québec

(Dossier, dernière partie de 4)

Modification de l’habitat des animaux, apport de mercure dans la chaîne alimentaire, impact sur les populations autochtones et allochtones usagères de la forêt : l’hydroélectricité, et son corollaire les barrages hydroélectriques, n’a pas une fiche environnementale parfaite.

Les grands ouvrages hydroélectriques modifient considérablement l’habitat de certains mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens et poissons. Outre les réservoirs et les barrages, les grandes lignes de transport et les divers chemins d’accès morcèlent le territoire, avec des conséquences variées sur la faune.

Basée à Baie-Comeau, la biologiste Maude Richard St-Vincent est chargée de projet en environnement pour Hydro-Québec. Coordonnatrice du programme de suivi environnemental de la Romaine, elle est aux premières loges pour observer les effets de la présence de la société d’État sur le territoire.

Seulement pour La Romaine, explique-t-elle, une quarantaine d’études d’impact environnemental sont en cours. Certaines s’échelonneront sur quatre décennies.

Dans l’eau

Certains poissons s’adaptent bien aux changements écosystémiques qu’implique la transformation d’une rivière en réservoir, selon les études. « Quand on perd une rivière au profit d’un réservoir, des espèces vont en profiter: le brochet, le meunier, le grand corégone… C’est un changement au niveau de la composition des espèces parce que les conditions d’eaux vives passent à des conditions de type lac », explique la biologiste.

En termes de biodiversité, la mise en eau aura même souvent un effet positif, quoique circonscrit dans le temps.

« La décomposition de la matière organique inhérente à l’ennoiement crée un boom de productivité du zooplancton et du phytoplancton qui profitera à plusieurs espèces », résume Mme Richard Saint Vincent.
Si certaines espèces sont favorisées, les salmonidés n’en font pas partie. «Ils vont être le plus affectés parce qu’on passe d’eaux vives à lac. Des programmes de mises en valeur viennent supporter la ouananiche, le touladi et l’omble de fontaine. Les réservoirs n’offrent pas d’habitat favorable à l’omble de fontaine et cette espèce est défavorisée mais il n’y a pas lieu d’être inquiet », explique Mme Richard St-Vincent.

Des mesures sont mises en place pour préserver l’espèce. «On peut, par exemple, installer un seuil sur un lac riche en omble de fontaine pour le protéger de la colonisation par de grands poissons prédateurs comme le brochet. »

De l’ensemencement, de l’aménagement de frayères et des suivis des populations de poissons font partie des plans de mise en valeur.

« Un des enjeux majeurs du projet de la Romaine est le saumon atlantique. Ce dernier fréquente le tronçon compris entre l’embouchure et l’aménagement de la Romaine-1, là où il y avait une grande chute naturelle qu’il ne franchissait pas, ajoute Maude Richard St-Vincent. Le saumon atlantique fait l’objet de mesures particulières. Entre autres, des frayères ont été aménagées et un programme de restauration, étalé sur plusieurs années, a été mis en place. Les études de suivi annuel sur la population de saumon permettront d’évaluer les effets de l’exploitation hydroélectrique sur cette espèce. »

L’anguille d’Amérique, une espèce susceptible d’être désignée comme menacée ou vulnérable, peut être affectée par certains barrages, mais, selon la biologiste, ce n’est « pas un enjeu à La Romaine ». « On sait qu’elle est présente. Dans le cadre du suivi « saumon », on a une barrière de comptage avec caméra et on a vu des anguilles quelques fois. Comme le saumon, son habitat naturel est en aval de Romaine 1.»

Dans les airs

Les oiseaux désertent-ils les sites où sont érigés des barrages? Dans le secteur de La Romaine 3, Hydro-Québec a déplacé une tour de télécommunication pour ne pas se retrouver dans le domaine vital d’un l’aigle royal, suivi par télémétrie à partir de 2013 (photo à la Une). « L’ennoiement du réservoir n’a pas causé de changement de son domaine vital ni de ses allers et venues, mais l’aigle évitait le site des ouvrages au fur et à mesure que la construction progressait », résume la biologiste.

Sur terre

Les castors feront l’objet d’un trappage intensif avant l’ennoiement de leur habita. Photo Istock.

L’habitat des castors, qui construisent leurs digues et leurs huttes aux abords des rivières, est forcément bouleversé lorsque le territoire où ils sont établis subit un ennoiement.

« Ici à La Romaine, on a convenu avec les populations locales de faire un trappage intensif des castors sur la zone où l’ennoiement était planifié», indique la biologiste.

Pour d’autres espèces, des suivis aériens ont été effectués avant chaque ennoiement ainsi que pendant.
« On voulait voir s’il y avait des animaux en danger, mais il faut comprendre qu’une mise en eau ne se fait pas du jour au lendemain. Ça se fait graduellement. La grande faune, par exemple les orignaux et les ours, ont le temps de voir venir et se déplacer», conclut la biologiste.

Caribou : des résultats bientôt

On sait d’ores et déjà que les chemins forestiers et autres lignes de transport créent des avenues qui permettent aux animaux, proies comme prédateur, de circuler plus librement. Les caribous sont particulièrement défavorisés, ce que ne nie pas la société d’État.

«On a suivi la population de caribou dans le secteur de La Romaine, entre autres des femelles avec un collier télémétrique. Ça s’est échelonné sur une période de 9 ans, de 2010 à 2019. Il y a eu des inventaires aériens pour répertorier la population, il y en a encore présentement. Il va rester un autre suivi un peu plus tard. On a une synthèse, en cours, qui va sortir prochainement », explique Maude Richard Saint Vincent.

Hydro-Québec ne se met pas la tête dans le sable. « Oui, effectivement, la prédation par le loup est un enjeu assez majeur. Mais il y a de la prédation par l’humain, aussi. »

L’accès aux réservoirs permettront aux villégiateurs de profiter de la pêche et autres activités récréatives. «Je pêche sur les réservoirs de la Côte-Nord, je vais à la petite chasse… Je les utilise moi-même, les chemins forestiers, et je ne suis pas toute seule! L’ouverture du territoire est une opportunité pour les humains aussi! », dit-elle sans ambages.

Des projets pilotes sont menés sur certaines lignes de transport pour maintenir, par exemple, un couvert végétal apprécié du caribou.

Des caribous. Photo courtoisie Jean-Simon Bégin.

Hydro-Québec procède à des essais pour atténuer les impacts de ses installations de transport sur le caribou, qui n’aime pas être à découvert. Des tronçons de lignes ont été surélevés pour permettre la croissance d’une végétation plus haute. Un suivi sera effectué sur l’efficacité de cette approche.

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