Interdire le virage à droite au feu rouge?
Afin de prévenir les décès de piétons et de cyclistes, de plus en plus de villes nord-américaines envisagent d’imiter Montréal en interdisant aux conducteurs de tourner à droite aux feux rouges.
Mais malgré des décennies de débat, même les défenseurs de la sécurité routière qui sont favorables à l’interdiction affirment qu’il n’existe pas de données fiables prouvant que cette mesure améliore la sécurité.
Valerie Smith, directrice des programmes de sécurité routière au sein de l’organisme dédié à la prévention des blessures Parachute, estime que le fait d’autoriser les conducteurs à tourner à droite aux feux rouges crée un «environnement hostile» pour les piétons et les cyclistes, en particulier les enfants, les personnes âgées et les personnes ayant des problèmes de mobilité. Selon elle, les piétons sont obligés de faire face à des conducteurs distraits et de se demander si un conducteur qui s’approche va s’arrêter pour eux.
«Lorsque je considère les possibilités de collisions, de blessures graves résultant de ces collisions ou de décès, je pense qu’il est vraiment logique d’envisager fortement une interdiction des virages à droite au feu rouge», a-t-elle affirmé lors d’un entretien téléphonique depuis Creemore, en Ontario.
Montréal est la seule grande ville canadienne à interdire systématiquement les virages à droite sur les feux rouges, tandis que New York est la seule grande ville américaine à les interdire dans la plupart des endroits. Mais la situation est en train de changer.
Comme l’a rapporté l’Associated Press ce mois-ci, un certain nombre de villes ont voté en faveur d’une restriction de cette manœuvre ou envisagent de le faire, notamment Washington, Chicago et Ann Arbor, au Michigan.
Au Canada, il y a parfois eu des pressions contre les interdictions de tourner à droite. Fin 2016, les maires de 15 municipalités de la banlieue de Montréal se sont mobilisés en vain pour supprimer l’interdiction, en invoquant la baisse du nombre de décès sur les routes et en faisant valoir que les automobilistes québécois n’étaient pas plus dangereux que ceux du reste de l’Amérique du Nord.
Toronto a également débattu de l’imposition d’une interdiction générale des virages à droite au feu rouge (abrégé RTOR en anglais) dans le cadre de sa stratégie Vision zéro, qui a pour objectif d’éliminer les décès de piétons et de cyclistes, mais a plutôt opté pour la mise en œuvre de la mesure uniquement à des intersections sélectionnées.
La ville «a constaté qu’il y aurait un avantage potentiel en termes de sécurité à certains endroits, mais qu’à d’autres endroits, l’introduction d’interdictions de tourner à droite pourrait entraîner des conditions moins sûres pour les piétons et les cyclistes», a déclaré le service des relations avec les médias de la ville dans un courriel.
Parmi les raisons invoquées dans le rapport pour s’opposer à une interdiction, on peut citer le fait qu’elle «concentre inévitablement l’ensemble de la demande des véhicules tournant à droite sur la phase verte du signal» et que, dans certains cas, elle pourrait accroître les conflits aux passages pour piétons où le nombre de piétons est plus élevé.
Nicolas Saunier, professeur de génie civil à Polytechnique Montréal, a souligné qu’il n’était pas certain que les interdictions de tourner à droite sur le feu rouge soient statistiquement plus sûres pour prévenir les blessures et les décès chez les piétons et les cyclistes.
Il penche plutôt en faveur de toute mesure qui peut permettre aux usagers de la route les plus à risque d’être un peu plus en sécurité et qui encourage les gens à marcher et à faire du vélo en toute confiance.
Des groupes de défense comme Piétons Québec soutiennent que des personnes meurent lorsque les virages à droite au feu rouge sont autorisés. La province a légalisé cette manœuvre à l’extérieur de l’île de Montréal en 2003, et le groupe affirme qu’elle a entraîné sept décès de piétons et 37 blessés graves entre cette année et 2015. Selon l’organisme, de nombreux conducteurs ne respectent pas les règles qui les obligent à s’arrêter complètement avant de tourner, et que les véhicules de grande taille, tels que les VUS, représentent un plus grand risque pour les piétons.
M. Saunier et Mme Smith soulignent tous deux que l’absence d’études récentes et exhaustives sur la sécurité des virages à droite au feu rouge reste un obstacle pour les villes qui envisagent de mettre en œuvre de nouvelles règles.
Selon M. Saunier, cela pourrait s’expliquer en partie par le fait que les accidents sont rares et qu’ils impliquent plusieurs variables, notamment les feux de circulation et le comportement des conducteurs. «De nombreux facteurs doivent être réunis pour qu’un accident se produise, ce qui explique que le nombre d’accidents soit très variable», a-t-il expliqué.
Selon Mme Smith, les études existantes ont montré que l’interdiction des virages au feu rouge réduisait les interactions négatives entre les véhicules et les piétons ou les cyclistes. Toutefois, ces études ont tendance à être réalisées à petite échelle et dans une seule juridiction plutôt que dans le cadre d’un examen systématique, et elles ne mesurent pas souvent les blessures graves ou les décès.
«Nous pensons qu’il est logique de mettre en œuvre l’interdiction de tourner à droite au feu rouge et nous savons qu’elle va protéger les usagers de la route vulnérables, mais nous voulons des données pour le confirmer», a-t-elle déclaré.
Ces données pourraient aider les villes à décider s’il convient d’interdire les virages au feu rouge à certaines intersections très fréquentées ou de mettre en place une interdiction générale. Une interdiction générale, reconnaît-elle, pourrait être difficile à faire accepter dans les quartiers où il y a peu de piétons et où les conducteurs qui veulent tourner seraient frustrés d’être bloqués au feu rouge.
«Cette interdiction générale a-t-elle un sens du point de vue des usagers vulnérables de la route ? Je dirais que oui», a-t-elle conclu. «Mais pour un urbaniste qui essaie de répondre aux besoins d’une variété d’électeurs, ce sera un peu plus difficile.»
Photo Ryan Remiorz, La Presse Canadienne
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