Le rat brun serait arrivé en Amérique du Nord vers 1740
Le rat brun adore la protéine animale, a dit l'auteur de l'étude. Il pourrait donc être possible de mieux contrôler sa population en s'assurant de limiter son accès à de telles protéines. Photo Robert Mecea/La Presse Canadienne
Le rat brun de Norvège est apparemment arrivé en Amérique du Nord vers 1740, plusieurs décennies plus tôt qu’on ne le croyait, et a rapidement déplacé le rat noir qui était pourtant le premier à s’être installé sur le continent, démontre une nouvelle étude.
Une équipe dirigée par le professeur Eric Guiry, de l’université ontarienne Lakehead, a examiné les restes de rats retrouvés dans des établissements et des épaves en Amérique du Nord datant des années 1550 au début du XXe siècle.
«Des analyses archéologiques, en particulier celles portant sur les animaux, peuvent apporter des contributions importantes aux problèmes du monde réel d’aujourd’hui, qu’il s’agisse de la conservation, de la biodiversité, du changement climatique», a expliqué M. Guiry.
Le rat noir, Rattus rattus, était arrivé en Amérique du Nord comme passager clandestin dans les années 1500. Il est même possible qu’il soit arrivé dans les Antilles dès 1492, en même temps que Christophe Colomb.
Le rat brun de Norvège, Rattus norvegicus, s’est pointé le museau chez nous quelques siècles plus tard. On croyait jusqu’à présent qu’il était arrivé dans les années 1770, mais les analyses du professeur Guiry et de ses collègues repoussent son apparition vers 1740.
Les chercheurs ont réalisé des analyses isotopiques et des empreintes de masse de collagène osseux sur des restes de rongeurs provenant de 32 établissements de la côte est de l’Amérique du Nord, des Maritimes et du Saint-Laurent, ainsi que du golfe du Mexique. Leurs analyses couvrent un large éventail de dates, allant de la fondation de Jamestown en 1607 jusqu’au début des années 1900.
Ils ont également examiné des échantillons provenant de sept épaves à travers cette région et datant d’environ 1550 à 1770. Ainsi, ils ont trouvé des restes de rat brun à bord de l’épave du navire Le Machault, qui était parti de France en 1758 et avait notamment fait escale à Québec avant de couler le 8 juillet 1760 lors de la bataille de Restigouche, au large du Nouveau-Brunswick actuel.
«Ce spécimen constitue la première preuve biomoléculaire confirmée de l’existence d’un rat brun en Amérique et, en outre, de l’entrée de l’espèce dans les réseaux de transport maritime mondiaux», écrivent les auteurs de l’étude.
Sur la terre ferme, poursuivent les chercheurs, on retrouve des rats bruns dans un contexte archéologique antérieur à 1775 à La Nouvelle-Orléans, en Caroline du Sud, en Virginie et en Nouvelle-Écosse.
Par conséquent, bien que la grande majorité des spécimens antérieurs à 1775 soient des rats noirs, il existe un schéma démontrant que certains de ces spécimens de rats bruns pourraient être antérieurs à la présence définitive de 1758-1760 sur Le Machault, peut-on lire dans le journal scientifique Science Advances.
«Bien que nous considérions que les données provenant des naufrages sont les plus sûres sur le plan chronologique, ces découvertes de rats bruns sur la terre ferme indiqueraient une introduction avant 1740», précisent les auteurs.
Gourmand et agressif
Il semblerait que le rat brun n’ait ensuite eu besoin que de quelques décennies pour chasser le rat noir des centres urbains côtiers, possiblement parce qu’il s’est accaparé la nourriture de meilleure qualité.
La rivalité entre les deux espèces pour le contrôle du territoire, des espaces de nidification et d’autres ressources aurait aussi fait pencher la balance en faveur du rat brun. Le taux de reproduction du rat noir aurait ensuite chuté, entraînant sa disparition presque complète des villes.
Des anecdotes historiques détaillent d’ailleurs une absence quasi-totale du rat noir dans les villes à compter des années 1830. Les auteurs de l’étude, de leur côté, n’ont identifié que cinq spécimens de rat noir après 1760 et deux après 1830.
Les conclusions de cette étude sont riches en leçons utiles pour aujourd’hui, estime M. Guiry.
«Le rat brun adore la protéine animale, a-t-il cité en exemple. C’est ce qui rend leur habitat urbain si productif.»
Il pourrait donc être possible de mieux contrôler sa population en s’assurant de limiter son accès à de telles protéines, a dit M. Guiry.
D’un point de vue de santé publique, a-t-il rappelé, les rats peuvent être à l’origine de la propagation de maladies zoonotiques.
«Il est possible que la dominance des rats bruns ait aidé à structurer la relation zoonotique entre les humains et les animaux dans les villes, dans l’est de l’Amérique du Nord, au cours des derniers siècles», a dit M. Guiry.
Savoir quelles populations de rats dominent à quel endroit pourrait permettre de mieux peaufiner les stratégies pour combattre ces maladies, a-t-il conclu.
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