Retour d’Ukraine : Un témoignage qui m’a bouleversé

Par Charlotte Vuillemin 4:00 PM - 16 mai 2024
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« L’Ukraine c’est loin, ce n’est pas notre guerre. » Ah bon, et pourquoi ?
Ne devrions-nous pas être tous concernés, enfants de ce monde, par ce qui se passe chez nos voisins ? Même les plus éloignés ? Jacky Lebas a 70 ans, il est réalisateur et reporter de guerre en Ukraine.

Aujourd’hui, je vous emporte avec moi dans ce qui a été la discussion la plus dure, émouvante et enrichissante qu’il m’a été donné d’avoir.

C’est un témoignage bouleversant, frappant, et empreint de véracité. Une vérité qui, pour le grand public, nous est inconnue.J’ai eu le privilège immense et incommensurable d’interviewer un grand monsieur, qui se bat pour ses convictions. Qui lutte pour mettre en lumière un peuple qui se bat dans l’ombre.

Il était sur la Côte-Nord la semaine dernière pour présenter son film Retour d’Ukraine, voici son récit.

« Ce que j’aimerais dire à la Côte-Nord, c’est de ne pas vous montrer impuissant. Aider l’Ukraine, c’est déjà ne pas l’ignorer. Racontez que vous avez vu des images, entendu des choses. Que c’est la vérité. Que demain, quelque part dans le monde, notre vie peut changer avec simplement le comportement complément hystérique et fou d’un individu. Que des peuples qui étaient simplement dans leurs champs de labour à travailler la terre ont été décimés, massacrés. Et que ça peut arriver à tout le monde demain et il ne faut pas se dire que ce n’est pas notre histoire. »

Monsieur Lebas a fait de son téléphone cellulaire son arme pour combattre les Russes. Le 24 février 2022, il était chez lui, à Jytomyr, lorsque les hélicoptères russes sont arrivés chargés de missiles pour frapper l’aéroport de sa ville. Le 24 février, la guerre débuta. Le 24 février, il fera le choix incurable de rester, de résister. Le 24 février, son combat commence. 

Aujourd’hui, cela fait 812 jours qu’il sillonne l’Ukraine, traque les scènes de guerre, donne tout son temps et tout son argent pour informer le monde des immondices que les Russes font, aux yeux de tous, presque sans conséquence. 

« Je me suis mis au service des journaux et des télévisions du monde entier, je travaillais pratiquement 20 heures sur 24. J’ai eu presque toutes les télévisions du monde. »

Il a vite pris le pas, et dès le deuxième jour de la guerre, pléthore de médias mondiaux utilisaient ses images, ses films, ses témoignages en direct des explosions et des bombardements, pour leurs nouvelles mondiales.   

« Dans les coulisses, vous n’imaginez pas. J’alimente des réseaux incroyables, plusieurs services secrets m’aident parfois quand je suis persécuté par les Russes ou que j’ai des piratages sur mon téléphone. J’ai évité un attentat une fois dans ma ville à Jytomyr. »

Un courage inébranlable pour garder sa dignité, pour son combat.

« Les images que je montre n’ont rien à voir avec ce que vous connaissez de la guerre », me confie Jacky. Lui qui a suivi les civils tous les jours et ce qu’ils subissent encore au moment d’écrire ces lignes.

Des femmes qui, depuis 27 mois, sont privées de l’homme de la maison. La nature complètement détruite pour un siècle à cause des explosions. Toutes ces choses qu’on ignore et qui me laissent sans voix.

La nature, un sujet pourtant si sensible pour vous les Québécois, amoureux de vos forêts et de vos lacs. Comment réagiriez-vous demain si vos immensités vertes étaient décimées par les impacts métalliques d’un peuple fou proclamant la suzeraineté de vos terres ? 

Jacky, dans son combat, conserve précieusement 27 heures de films, plus de 12 000 photos et l’histoire dans sa mémoire des assauts qui ont assailli les villes ukrainiennes sous ses yeux. 

« J’ai vu des femmes nues pendues à des réverbères, des choses atroces. On se demande comment des jeunes soldats russes de 20 ou 25 ans, des jeunes qui n’ont pas connu d’autres guerres avant, comment ils peuvent être devenus comme cela, des sauvages ? Parce que leur dictateur leur a donné le permis de tuer ? »

Je suis abasourdie d’entendre ses mots. Se pourrait-il que la barbarie devienne une drogue pour ces hommes, une accoutumance au sang et à la violence ? Comment reprendre une vie normale après avoir commis ces actes ? 

Sommes-nous si aveugles, ou complètement fous d’indifférence, pour ne pas voir que, chaque jour, des hôpitaux, des écoles, des aéroports se font bombarder sans aucune pudeur ? Chaque jour, des Ukrainiens paient le prix fort de leur vie, pour tenter de sauver leur patrie.

« J’ai beaucoup d’images extrêmement violentes de soldats la tête ou le corps explosé. J’ai une vidéo en drone d’un obus qui tombe dans une tranchée et un soldat part, déchiqueté en morceaux. J’ai toutes ces images qui serviront peut-être pour les procès, pour après. »

Cette guerre n’est pas le reflet des guerres passées où de braves guerriers combattaient sur les champs de bataille, épées, glaives et boucliers en main. Cette guerre est une guerre de lâches, où tout se joue dans des bureaux. Où des hommes appuient sur des boutons comme s’ils jouaient à des jeux vidéo pour lâcher des armes interdites sur des civils innocents. 

« L’Ukraine c’est ça. Les femmes sont violées et mutilées tous les jours par les soldats russes, des enfants sont enlevés par milliers pour qu’on leur donne une nouvelle identité en Russie et qu’ils ne revoient plus jamais leur patrie, pour en faire de la chair à canon pour plus tard. Voilà, toutes les histoires que j’ai à raconter »

Jacky me raconte ça, je vois les larmes couler sur son visage. Les miennes ne sont pas loin non plus. Je me retiens tant bien que mal par professionnalisme. J’essaie de faire bonne figure, mais croyez-moi, ce fut la chose la plus difficile que j’ai dû faire dans ma carrière.

Le quotidien des soldats ukrainiens immortalisé par Jacky.

Jacky continue.

« J’ai fait le tour en 4 saisons de ce qu’est la vie de tous les jours jusqu’au moment où on dépose en terre le corps d’un jeune homme dans son cercueil. Avec toute la tristesse que ça a, son corps n’est pas complet. »

« Dans ma ville, un nouveau cimetière a commencé, on a rasé quelques mètres de forêt et maintenant, il y a 740 tombes de soldats très jeunes. La nature a laissé la place à la mort, et c’est tout ça que je raconte. »

Pouvons-nous sincèrement être partiaux face à tant de haine ? Jacky n’est qu’une goutte d’eau dans ce raz-de-marée qu’est cette histoire humaine et inhumaine. Il a tant à raconter au monde, tant à montrer dans son brave combat que trop de gens ignorent. Sa parole doit dépasser les frontières et résonner plus fort encore que le bruit des obus qui décime l’Ukraine.

« C’est important que les gens sachent que l’Ukraine est la dernière barrière à la porte de l’Europe pour empêcher ce fou de vouloir recréer l’empire soviétique qui lui est cher parce que c’est un adorateur de Staline. Rien de l’arrêtera. On me dit qu’on a peur de la troisième guerre mondiale, on est dedans. Ça partira d’un jour à l’autre, les F16 arrivent en Pologne et en Roumanie, on ne déplace pas tous ces convois de trains militaires et de véhicules militaires pour faire jolie, ça va servir. »

La question que je me suis posée en écoutant ce récit, peut-être niaise, mais je l’ai posée tout de même. « Jacky, avez-vous peur pour votre vie ? »

« Je n’y pense pas, j’ai l’impression d’avoir été un peu favorisé. Il y a 4 ans, j’ai eu un grave cancer et aujourd’hui, il n’y a plus rien. J’ai toujours eu l’impression depuis 4 ans qu’on m’accordait une nouvelle vie et qu’il fallait en faire quelque chose. Je veux vraiment rester jusqu’au dernier jour. »

Monsieur Lebas, vous êtes un grand Homme, votre nom et votre combat méritent la reconnaissance de tous. Je vous salue et vous remercie pour la leçon de vie que vous m’avez offerte. 

Cela vous choque ? C’est malheureusement le quotidien que vivent les Ukrainiens. Parfois, certains mots nous manquent pour décrire les atrocités qui se passent dans ce monde. Aujourd’hui, j’ai décidé d’avoir le courage de les dire.

Une petite fille perdue le champ de guerre.