Une ville, une MRC, la solution pour l’ex-maire Normand Morin

Par Charlotte Paquet 3:00 PM - 25 janvier 2022
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Après 12 années d’expérience au conseil municipal de Pointe-Lebel, dont huit à la mairie, l’ex-maire Normand Morin croit que le concept d’une ville, une MRC serait avantageuse pour toute les municipalités de la Manicouagan. Il espère une réflexion à ce sujet.

Le concept d’une ville, une MRC serait-il gagnant tant pour les petites municipalités de la Manicouagan que pour la ville centre, Baie-Comeau? Toutes y trouveraient-elles leur compte? L’ex-maire de Pointe-Lebel, Normand Morin, croit que oui.

Même s’il a choisi de quitter son poste après deux mandats, il espère qu’une réflexion s’amorce à ce sujet dans les prochaines années. « Y’a personne qui veut embarquer là-dedans », lance M. Morin avant de se reprendre en précisant plutôt que « y’a personne qui veut allumer la mèche ». La douloureuse fusion des ex-villes de Baie-Comeau et de Hauterive n’a pas été oubliée, reconnaît-il.

Défait à l’élection de novembre 2021, l’ancien maire de Ragueneau, Joseph Imbeault, avait effleuré le sujet à la table de la MRC. L’intérêt d’un possible regroupement des huit municipalités de la Manicouagan a été lancé, mais sans suite puisque les élections s’en venaient et que le moment était peu propice aux discussions.

Mais cette idée n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd du côté de Normand Morin. « Si j’étais resté là, c’est sûr que j’aurais travaillé là-dessus », assure celui qui a laissé passer les élections avant de s’ouvrir sur les avantages qu’il voit au concept d’une ville, une MRC.

La solution

« On n’a pas de poids dans la région parce qu’on travaille chacun de notre bord. (…) On veut faire valoir notre municipalité chacun de notre bord. Pendant qu’on s’obstine, le gouvernement rit. C’est diviser pour mieux régner », observe l’ancien maire, pour qui le concept d’une ville, une MRC, est la solution pour gagner du pouvoir politique dans la région.

Selon lui, tous les villages y gagneraient, eux qui, malgré leur très petit nombre d’employés, doivent tout de même composer avec, dit-il, 44 lois et règlements à respecter tout comme les grandes villes.

Contrairement à la Ville de Baie-Comeau, les petites municipalités ne peuvent compter sur un service juridique ou encore des ingénieurs, rappelle M. Morin. « S’il y avait une ville, une MRC, la Ville de Baie-Comeau pourrait grossir son service de contentieux, son service d’ingénierie. » Déjà, Baie-Comeau gère le service incendie de Pointe-Lebel et rend aussi des services dans ce domaine aux trois localités de l’est de la MRC.

« On est rendu qu’on a tellement de responsabilités et de diversité pour le travail de nos employés. C’est difficile. On est vulnérables sur tout. On a un employé aux loisirs, un à l’urbanisme, une directrice générale qui dirige à peu près tout et on n’a pas de relève. On perd une personne et on perd 10 % de notre monde » renchérit l’ex-maire Joseph Imbeault.

Ce dernier dit avoir observé une bonne écoute lorsqu’il a proposé l’idée aux autres maires. « À la minute où j’ai lancé ça, les yeux se sont ouverts. Moi, je l’avais en arrière de la tête. C’est sûr que c’est un sujet que j’aurais abordé », souligne celui qui a été battu par cinq voix au scrutin de novembre.

Des pourparlers à avoir

Normand Morin considère que tout le monde dans la Manicouagan a à gagner d’un regroupement à huit municipalités, mais qu’il faut partir la discussion.

L’ex-élu se croise les doigts pour que son message trouve écho parmi les maires et que l’un d’entre eux prenne le bâton du pèlerin pour « allumer la mèche », comme il le dit si bien.

« Qui va partir ça? Dans quel contexte on le part? C’est stratégique. La Ville de Baie-Comeau ne peut pas partir ça », reconnaît-il en soulignant qu’on pourrait lui accoler l’image « du gros méchant loup ».

Les municipalités sont prêtes à discuter de l’idée

L’idée d’un regroupement des huit municipalités de la MRC de Manicouagan selon le concept Une ville, une MRC reçoit, sans surprise, un accueil mitigé des maires. Un aspect fait cependant l’unanimité : l’ouverture de chacun à participer à des discussions sur le sujet.

« À quelque part, il y a une belle discussion à avoir entre les différents maires des municipalités », croit le maire de Baie-Comeau, Yves Montigny. Il prévient cependant que comme premier magistrat de la ville centre, jamais il ne mettra de pression pour lancer les échanges. C’est aux petites municipalités de partir le bal, selon lui.

« Est-ce que ça vaut la peine de réfléchir? Oui. Est-ce que ça vaut la peine de faire un débat public? Non », considère M. Montigny, avec un regard sur le passé et la « fusion imposée par le gouvernement pour des raisons financières » des villes de Baie-Comeau et de Hauterive en 1982.

L’élu souligne que « plus ça va et plus les municipalités ont besoin de Baie-Comeau ». Il cite en exemple la dépendance « quand même importante » des municipalités de Franquelin et Godbout pour leur service incendie.

Peut-être que l’idée d’Une ville, une MRC ne ferait aucun sens et que la somme des désavantages supplanterait de beaucoup celle des avantages. « On est ouvert à en discuter et à regarder. S’il n’y a pas d’avantage, on le saura. Sans analyse et sans réflexion, ce (le débat) serait trop émotif », ajoute M. Montigny.

Il rappelle que le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation pourrait probablement accompagner les maires dans leurs travaux. « On est en début de mandat. On est aussi bien de commencer (la réflexion). »

Qu’en pense la péninsule?

À Ragueneau, de prime abord, le nouveau maire Raymond Lavoie ne croit pas que le regroupement des huit municipalités de la MRC de Manicouagan soit une bonne chose, mais il se dit conscient de son peu d’expérience pour en juger. « Il faut au moins me donner un an pour apprendre. Je ne veux pas brûler les étapes. »

« Mon avis personnel, c’est une chose. L’avis du conseil municipal, ça peut être autre chose. Il faudrait voir tous les considérants, les avantages et les désavantages. On a des contextes très différents », souligne pour sa part Julien Normand, le maire de Pointe-aux-Outardes.

« Ce serait tout un challenge. Ça pourrait être le fun d’essayer, mais tant qu’à passer, j’en doute », ajoute M. Lavoie, en notant les réalités différentes de chaque municipalité et la difficulté à les arrimer ensemble dans plusieurs dossiers.

« D’après moi, ça n’en viendra pas là demain matin. Je ne dis pas que c’est une mauvaise idée, on peut en discuter. Ce serait quoi nos avantages à embarquer là-dedans? », réagit le maire Yoland Émond, à Chute-aux-Outardes, face au concept d’Une ville, une MRC. Il avoue cependant que l’enjeu de la main-d’œuvre est difficile pour sa municipalité.

Du côté de Pointe-Lebel, René Labrosse, qui vient d’être élu à la mairie, pense d’emblée que « ce ne serait pas une mauvaise idée », en soulignant les ententes qui lient déjà sa municipalité à la ville voisine de Baie-Comeau, principalement la gestion du service incendie.

Tout comme son prédécesseur, Normand Morin, l’a confié au Manic, M. Labrosse croit qu’un tel regroupement aurait comme résultat que toutes les municipalités travailleraient dans le même sens et qu’il y aurait moins de jeux politiques. « On serait plus gros aussi. On pourrait être à égalité avec Sept-Îles. On est toujours deuxième. On pourrait être la capitale de la Côte-Nord », croit-il.

Et dans l’est?

À Franquelin, le maire Steeve Grenier se dit ouvert à la discussion et croit que plusieurs maires de la Manicouagan ont déjà songé à la possibilité d’un regroupement.

« Honnêtement, ça ne peut pas être mauvais (d’en parler). Il faut commencer à discuter, ça mérite de se pencher là-dessus », assure celui qui croit que cette solution pourrait venir qu’à s’imposer dans l’avenir.

« Les conseillers sont payés à des prix ridicules. Un conseiller à la Ville de Baie-Comeau gagne plus qu’un maire de petite municipalité. On doit appliquer les mêmes choses qu’une grosse municipalité avec des effectifs hyper réduits. Ça devient lourd », laisse tomber M. Grenier.

Dans le village voisin de Godbout, le maire Jean-Yves Bouffard voit difficilement les avantages d’une fusion à huit municipalités en raison notamment de l’éloignement. En revanche, il considère qu’un regroupement à trois, soit Franquelin, Godbout et Baie-Trinité, serait davantage gagnant.

Chacune de leur bord, les trois municipalités n’ont « peut-être pas les finances pour se payer un dg de qualité », mais regroupées, ça pourrait être possible, laisse entendre M. Bouffard. Même chose pour un inspecteur municipal qui partagerait son temps entre les trois.

Maire de Baie-Trinité, municipalité qui se situe à une centaine de kilomètres de la ville de Baie-Comeau, Étienne Baillargeon se dit personnellement contre un le principe d’Une ville, une MRC en affirmant qu’il « va y avoir un gagnant et beaucoup de perdants ».

L’élu souligne que les quatre municipalités de la péninsule Manicouagan « sont accotées à Baie-Comeau », mais que ce n’est pas la réalité de Baie-Trinité. « L’éloignement fait toute une différence. Nous, ça nous coûte tout le temps plus cher en raison de la distance. »

Aussi, il croit que le recours à une formule d’arrondissements advenant une fusion pourrait avoir comme résultat de « changer quatre trente sous pour une piastre ». « Je ne suis pas fermé à l’idée, mais je ne donnerai pas mon âme au diable pour ça. »

Le maire de Baie-Comeau, Yves Montigny, prévient que jamais il ne mettra de pression pour lancer les échanges. C’est aux petites municipalités de partir le bal, selon lui.

L’exemple de Rouyn-Noranda

L’année 2022 marquera les 20 ans de création d’une dizaine de villes-MRC au Québec. Parmi elles, Rouyn-Noranda, où la fusion avait donné lieu à quelques grincements de dents avant que les municipalités dissidentes se rallient aux promesses d’avantages à venir, selon la mairesse Diane Dallaire.

On se souviendra qu’au début des années 2000, avec la loi 124, le gouvernement du Québec a lancé une offensive pour réduire le nombre de municipalités au Québec. De nouvelles villes ayant la responsabilité d’une MRC sont ainsi venues au monde.

Depuis, la ville-MRC de Rouyn-Noranda, comme la nomme sa mairesse, englobe 17 anciennes municipalités. Par contre, le processus de regroupement s’était amorcé bien dès 1986 avec la fusion des villes de Rouyn et Noranda, à peine quatre ans après celle des villes de Baie-Comeau et Hauterive.

De 1995 à 2000, trois autres localités ont grossi les rangs de la ville la plus populeuse de l’Abitibi-Témiscamingue, qui compte aujourd’hui 43 092 habitants.

« En dernier, en 2002, il y en avait trois sur les 12 qui étaient un peu dissidentes. Toutes les autres étaient d’accord. Tout le monde s’est rallié », rappelle Diane Dallaire, pour qui la fusion a été bénéfique à bien des égards.

Des avantages

« Il y a plein d’avantages de réunir les municipalités, premièrement la gouvernance. On a 12 districts, on a 12 élus autour de la table au lieu d’une centaine d’élus. Pour les municipalités rurales, ça amène quand même des leviers importants », mentionne la mairesse, en citant en exemple quelques projets d’assainissement des eaux réalisés en milieu rural.

Selon Mme Dallaire, la ville dispose aussi d’une équipe de professionnels solide, tout comme du côté de l’administration et du greffe. « Ça nous permet d’avoir une expertise encore meilleure. »

Mais tout n’est pas rose. « Il y a certains irritants, il faut l’avouer. On défend un dossier auprès du ministère des Transports pour la somme perdue (de façon dégressive) au niveau des chemins ruraux. On n’arrive pas sans ça », déplore la mairesse. Les revendications ont commencé en 2019.

Malgré certaines problématiques, la mairesse de Rouyn-Noranda assure que « c’est vraiment extraordinaire une ville-MRC ». Elle résume ainsi en conclusion.

« Au niveau de la gouvernance, c’est plus facilitant. C’est un poids plus grand qu’on a pour porter des dossiers. Il y a aussi l’expertise et les leviers financiers. »

Diane Dallaire est mairesse de la ville de Rouyn-Noranda, qui regroupe 17 anciennes municipalités depuis 2002. Photo courtoisie

Soutien technique et financier disponible au ministère des Affaires municipales

Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) peut soutenir les municipalités qui « souhaitent étudier conjointement la possibilité d’un regroupement municipal ».

Dans les faits, sur demande, le MAMH offre une assistance technique à la réalisation d’une étude d’opportunité. Cette aide, précise par courriel Sébastien Gariépy, relationniste de presse, n’oblige aucunement les « municipalités à donner suite aux conclusions des études sur les implications d’un regroupement ».

M. Gariépy ne manque pas de noter que le regroupement municipal s’inscrit dans le cadre d’une « démarche volontaire et consensuelle ». C’est aussi aux municipalités concernées de déterminer la meilleure façon de faire pour la présentation d’une demande commune au gouvernement.

Le MAMH gère un programme d’aide financière au regroupement municipal, qui se décline en deux volets. D’une part, il peut assumer une partie des coûts de réalisation et de suivi d’études de regroupement faites par des consultants. D’autre part, il peut aider financièrement la nouvelle municipalité issue du regroupement.

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