Plus de 300 km pour des soins vétérinaires

Par Johannie Gaudreault 12:00 PM - 23 février 2023
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Cindy Gagnon de Forestville a dû se rendre à Saguenay pour faire opérer son chaton. Manon Gauthier de Baie-Comeau, a roulé plus de 300 km pour faire vacciner son chien à La Malbaie. Ce sont des exemples parmi tant d’autres qui prouvent que l’accès aux soins vétérinaires dans la région est déficient.

Ces résidentes de la Haute-Côte-Nord et de la Manicouagan n’ont eu d’autres choix que de se tourner vers des régions limitrophes pour faire soigner leur animal de compagnie. Les cliniques vétérinaires du territoire sont débordées et n’acceptent plus de nouveaux clients. Impossible pour les récents propriétaires de ces petites bêtes attachantes d’obtenir un rendez-vous près de leur domicile.

« J’ai essayé d’aller à Sacré-Cœur ou Baie-Comeau, c’est plus près de chez moi, mais il n’y avait plus de place. On m’a référée vers Québec, mais j’ai trouvé une clinique à Chicoutimi qui a pu faire la stérilisation de mon chat », raconte Cindy Gagnon, qui en plus des frais d’essence, a dû dormir une nuit à l’hôtel pour respecter le temps postopératoire.

Quant à Manon Gauthier, après de nombreux essais auprès des cliniques régionales, elle a dû se résigner, personne ne lui ouvrirait de dossier. « J’étais en colère parce que c’est seulement pour deux vaccins, ce n’est pas une opération qui demande du temps », confie la Baie-Comoise qui a choisi de faire la route jusqu’à La Malbaie.

Elle déplore que les cliniques « ne fassent pas le ménage dans leurs dossiers ». « Certains n’ont plus d’animaux et pourraient laisser la place à d’autres clients. Je connais des gens qui ont ajouté leur animal au dossier d’une personne de leur famille pour avoir un rendez-vous. Je ne voulais pas entrer dans ce jeu-là », dénonce-t-elle.

Des cliniques qui débordent

À Sacré-Cœur, la clinique vétérinaire des Deux-Rives fermera d’ailleurs ses portes en mars. Elle n’ouvre donc plus de nouveaux dossiers et elle tente tant bien que mal de référer ses patients à d’autres endroits. Des patients qui ne se comptent pas sur les doigts, malheureusement, mais plutôt en termes de milliers.

« J’ai environ 2 800 dossiers qui sont actifs depuis 10 ans. Ceux qui le veulent pourront me suivre à Québec », lance Dre Amélie Giroux, propriétaire de la clinique sacré-cœuroise, qui retourne dans sa région natale.

Les clients qui souhaitent obtenir une copie de leur dossier peuvent d’ailleurs le faire d’ici la mi-mars.
À Baie-Comeau, on retrouve deux cliniques et quatre vétérinaires, mais ce n’est pas suffisant pour répondre à la demande.

« La surcharge de travail est trop énorme pour qu’on puisse accepter les nouveaux clients », lance d’entrée de jeu la technicienne en santé animale à la Clinique vétérinaire Baie-Comeau, Dominique Villeneuve, rappelant que les urgences sont traitées 24 heures sur 24.

« On a un cœur, ajoute-t-elle. Ça peut arriver qu’on dise oui à quelqu’un qui n’a pas de dossier chez nous, mais dont l’animal a vraiment besoin de soins urgents. Mais pour les stérilisations et les vaccins, on va référer ailleurs. »

Quand elle dit référer ailleurs, elle veut dire à Québec, c’est l’endroit le plus près de la région qui accepte encore des clients. « Avant, on envoyait les gens vers Chicoutimi, mais on s’est fait dire que les vétérinaires sont débordés aussi. À Sept-Îles, c’est la même chose. On est donc rendu à aller à Québec », témoigne Mme Villeneuve qualifiant cette situation de « vrai fléau ».

À la Clinique vétérinaire Baie-Comeau, on possède plus de 8 500 dossiers ouverts et la grande partie de ces dossiers ont davantage qu’un seul animal.

« Les animaux de compagnie sont de plus en plus populaires. Certains clients en ont trois et même quatre. Notre plus grand nombre pour un dossier s’élève à neuf. Donc, on a beaucoup d’animaux à soigner », dévoile la technicienne en santé animale précisant qu’un dossier n’est plus actif après 10 ans sans rendez-vous.

Même son de cloche à l’Hôpital vétérinaire Manicouagan. Deux vétérinaires supplémentaires seraient les bienvenus pour répondre à la demande, mais le recrutement s’avère corsé, la ressource étant rare.

« On est allé à une rencontre de recrutement à Saint-Hyacinthe. On était une centaine d’entreprises pour 33 finissants. Vous imaginez ce qu’ils peuvent se faire offrir », témoigne Dre Marie-Noëlle Morin, vétérinaire propriétaire.

Celle-ci déplore la hausse de la durée des études doctorales pour devenir médecin vétérinaire. « Elle avait été diminuée à 4 ans, mais elle est revenue à 5 ans. Ce sont des finissants qu’on perd chaque année », dit-elle.

Dre Morin précise toutefois que les animaux malades sont encore pris en charge, qu’ils soient clients ou non. « Ce sont seulement pour les chirurgies de routine ou les vaccins qu’on n’ouvre plus de nouveaux dossiers. »

Autre conséquence de la pénurie de vétérinaires, les délais de chirurgie se sont amplifiés. Selon Dominique Villeneuve, à la clinique où elle travaille, pour une stérilisation, les clients doivent attendre 8 mois.

« Avant, on pouvait donner des rendez-vous de routine la journée même et des stérilisations dans un délai d’un mois. Ce n’est plus du tout le cas », confirme-t-elle.

La clientèle a également pu observer une hausse des prix chez le vétérinaire. « Avec l’inflation, tout a augmenté. La nourriture a connu une méga hausse tout récemment.

Notre mission demeure toujours d’offrir un service de qualité à prix abordable. Mais, avant d’adopter un animal de compagnie, il faut penser à tous les frais qui viennent avec », insiste Mme Villeneuve.

Le chien de Manon Gauthier, Gustav, a dû faire quatre heures de route et des centaines de kilomètres pour recevoir ses vaccins. Photo : Courtoisie

Plusieurs facteurs à la pénurie

Chez l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, on ne se met pas la tête dans le sable. « Oui, il y a bien une pénurie de médecins vétérinaires au Québec et la situation est la même pour le reste du Canada. Nous remarquons depuis plusieurs années que certaines régions sont plus affectées que d’autres », laisse tomber l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec par courriel.

À titre d’exemple la Côte-Nord était desservie par 13 médecins vétérinaires il y a deux ans alors que maintenant ce nombre est passé à neuf. « Probablement à cause de départs à la retraite », commente l’organisation ajoutant que la pénurie québécoise est causée par plusieurs facteurs.

Le nombre insuffisant de diplômés, les départs à la retraite, l’épuisement des médecins vétérinaires, la rétention des ressources, l’augmentation fulgurante des foyers qui possède un animal de compagnie entre autres depuis la pandémie sont d’autres raisons qui compliquent l’accès aux soins vétérinaires partout au Québec, mais plus particulièrement en région.

En ce qui concerne les finissants en médecine vétérinaire, leur nombre varie selon les années, mais il se situe entre 85 et 95 diplômés annuellement. Actuellement, la formation est offerte uniquement à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, campus de Saint-Hyacinthe.

« Dès l’automne 2024, il y aura un campus satellite à l’Université du Québec à Rimouski. La première cohorte accueillera 25 étudiants », poursuit l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec.

L’Ordre est « en mode solutions » et multiplie les efforts depuis plusieurs années afin d’améliorer la situation que ce soit par « des révisons réglementaires, interventions publiques, collaborations diverses, guide sur la télémédecine, et plus encore ». Mais il reste du chemin à faire et des vétérinaires à former.

Toutefois, l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec se veut rassurante en ce qui concerne la santé des animaux puisque « les médecins vétérinaires de toutes les régions s’assurent que le plus grand nombre d’animaux soient traités dans des délais raisonnables ».

« Les informations reçues à l’Ordre ne font pas état que des animaux soient décédés faute de soins vétérinaires. Il faut compter des délais un peu plus longs pour des gens qui n’ont pas au préalable ouvert un dossier pour leur animal de compagnie dans un établissement vétérinaire », spécifie-t-elle.

D’ailleurs, dans le code de déontologie des médecins vétérinaires, il n’est pas interdit de cesser l’ouverture de nouveaux dossiers.

On mentionne plutôt « qu’avant d’accepter de rendre des services professionnels, le médecin vétérinaire doit tenir compte du domaine où il exerce principalement, des limites de ses habiletés et de ses connaissances ainsi que des moyens dont il dispose ».