Le contrat de Churchill Falls continue de faire jaser à Terre-Neuve-et-Labrador

Par Jacob Serebrin 10:05 AM - 17 Décembre 2023 La Presse Canadienne
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Le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, et le premier ministre du Québec, François Legault, dans le bureau du premier ministre à l’édifice de la Confédération à St. John’s, le 24 février 2023. La Presse Canadienne

Alors que le Québec se prépare à augmenter sa production d’électricité pour atteindre ses objectifs économiques ambitieux, le gouvernement tente de prolonger un accord énergétique qui a suscité beaucoup de mécontentement à Terre-Neuve-et-Labrador dans les dernières années.

Environ 15 % de l’électricité du Québec provient du barrage de Churchill Falls, au Labrador, en vertu d’un accord qui viendra à échéance en 2041 et qui est largement considéré comme étant injuste pour la province de l’Atlantique.

Le premier ministre du Québec, François Legault, souhaite non seulement prolonger l’accord, mais aussi construire un autre barrage sur le fleuve Churchill pour aider le Québec à atteindre son objectif de devenir le « leader mondial de l’économie verte ».

Mais renouveler ce contrat « ne sera pas facile », prévient le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau.

Si prolonger l’accord de Churchill Falls n’est pas essentiel pour répondre aux projets énergétiques du Québec, « nous aurions des problèmes » si l’entente se termine comme prévu, soutient M. Mousseau.

Le gouvernement Legault incite les entreprises mondiales, comme les fabricants de batteries pour véhicules électriques, à s’établir au Québec, notamment en vantant son hydroélectricité. Mais afin de répondre à la demande, le Québec devra produire plus d’électricité dans les prochaines années.

En novembre, Hydro-Québec a publié son plan stratégique qui prévoit une augmentation de la production de 60 térawattheures d’ici 2035. Churchill Falls produit environ 30 térawattheures, et le Québec devra remplacer cette énergie s’il ne parvient pas à conclure un accord pour prolonger le contrat avec Terre-Neuve-et-Labrador, rappelle M. Mousseau.

Si le Québec veut continuer à acheter de l’électricité produite à Churchill Falls, le gouvernement devra payer davantage, tranche M. Mousseau, qui est également professeur de physique à l’Université de Montréal.

« On paye un cinquième de cent par kilowattheure, ce n’est pas beaucoup », souligne-t-il.

Mécontentement à Terre-Neuve-et-Labrador

En vertu du contrat conclu en 1969, le Québec devait assumer la majeure partie du risque financier lié à la construction du barrage de Churchill Falls, en échange du droit d’acheter de l’électricité à un prix fixe.

L’entente a finalement généré des revenus de plus de 28 milliards $ pour Hydro-Québec, mais a restitué seulement 2 milliards $ à Terre-Neuve-et-Labrador.

Cet accord déséquilibré a attisé le sentiment «anti-québécois» à Terre-Neuve-et-Labrador, selon le professeur d’histoire à l’Université Dalhousie, Jerry Bannister.

« Il y avait une sorte de nationalisme colérique et combatif qui définissait le développement énergétique. Et particulièrement à Muskrat Falls, c’était une revanche, c’était une vengeance », explique-t-il.

L’électricité produite par la centrale de Muskrat Falls, également située sur le fleuve Churchill, sera donc vendue à la Nouvelle-Écosse plutôt qu’au Québec. Mais ce projet a connu des problèmes techniques et des dépassements de coûts: en date du 29 juin, la facture associée à la construction de Muskrat Falls avait atteint 13,5 milliards $, alors que la province avait estimé le coût total à 7,4 milliards $ lorsqu’elle a approuvé le projet en 2012.

Le sentiment « anti-québécois » s’est peut-être apaisé avec le temps, mais M. Bannister croit que l’accord de Churchill Falls continue d’influencer la politique terre-neuvienne.

Les discussions au ralenti

En septembre, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, a fait savoir que le gouvernement Legault devra lui démontrer qu’il est prêt à payer plus pour l’énergie produite à Churchill Falls s’il souhaite prolonger le contrat.

C’est cependant la dernière fois que les deux hommes ont tenu une rencontre à ce sujet.

Mardi, le bureau de M. Legault a assuré que les discussions se poursuivaient, tandis que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a fait savoir jeudi qu’il souhaitait maximiser la valeur de ses « actifs et opportunités futures » le long du fleuve Churchill.

Quelle que soit la nature des négociations qui ont lieu actuellement, le grand chef Simon Pokue, de la Nation innue du Labrador, affirme avoir été exclu des négociations.

Churchill Falls a inondé 6 500 kilomètres carrés de terres traditionnelles innues, dénonce M. Pokue, qui ajoute qu’en réponse, la Nation innue a intenté une poursuite de 4 milliards $ contre Hydro-Québec en 2020. Ce processus se poursuit.

« Beaucoup de dégâts ont été causés à nos terres. Nos terres sont inondées et nous ne les reverrons plus jamais. Personne ne réparera jamais ça », déplore-t-il.

Par ailleurs, une partie des bénéfices de Muskrat Falls était censée revenir à la Nation innue, mais les dépassements de coûts et un accord de refinancement entre le gouvernement fédéral et Terre-Neuve-et-Labrador ont limité les fonds disponibles.

Si M. Legault souhaite voir un autre barrage être construit sur le fleuve Churchill, à Gull Island, la Nation innue doit recevoir les sommes qu’elle attendait de Muskrat Falls, plaide M. Pokue.

« Ils l’ont fait une fois, ils ne recommenceront pas, prévient-il. Ça ne commencera pas tant que nous ne serons pas consultés et impliqués. »

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