La fugue d’un enfant est tabou pour un parent, mais des ressources existent pour eux

Par Katrine Desautels, La Presse canadienne 10:30 AM - 3 mars 2024
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Tecumseh Hotomani, 10 ans, s'agite avec son masque facial à son domicile de Winnipeg, le mardi 24 août 2021. LA PRESSE CANADIENNE/John Woods

Tous les parents rencontrent des défis auprès de leur enfant, mais les parents de jeunes fugueurs peuvent ressentir de la honte lorsqu’ils sont confrontés à cette situation. Il existe des ressources pour appuyer les parents dans ce processus souvent difficile. 

Les données relatives aux fugues montrent que les taux sont redevenus similaires à ceux d’avant la pandémie. Pour l’année 2022-2023, plus de 7300 fugues ont été officiellement déclarées au Québec, selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux, mais de nombreuses fugues ne sont pas rapportées aux autorités. 

C’était le cas des fugues répétées du fils de Karine Lapierre qui ne voulait pas nécessairement aviser la police puisqu’elle savait que son garçon allait toujours à ses cours à l’école.

Il n’en demeure pas moins que Mme Lapierre était inquiète pour son fils qui avait commencé à développer des problèmes de toxicomanie. Il passait parfois près d’une semaine à l’extérieur de sa maison et sa mère ne savait pas où il dormait. 

«C’est comme si ton enfant te glisse entre les doigts sans cesse, au sens propre et figuré, se remémore Mme Lapierre. J’ai toujours eu une très bonne relation avec mon garçon. Je l’ai élevé toute seule pendant son primaire et on était vraiment proche. Tu ne penses pas comme parent que ça peut t’arriver parce qu’on était si proche.» 

Son fils était âgé d’environ 15 ans lorsqu’il a déménagé avec elle de Montréal à Boucherville. Une nouvelle cellule familiale s’est alors formée avec le conjoint de sa mère et ses enfants à lui. 

Avec le recul, Mme Lapierre est consciente que ce déracinement a énormément bouleversé son ado. 

«La réaction de base, c’est beaucoup d’inquiétude et le désir que l’enfant retourne à la maison le plus rapidement possible», explique Jonathan Paradis, conseiller clinique pour l’organisme En Marge 12-17.

Il indique qu’une dynamique difficile va souvent s’installer entre les deux parties puisque le parent veut que son enfant revienne à la maison le plus vite possible, puis réfléchir après aux solutions, tandis que l’enfant veut réfléchir pendant qu’il est en fugue. 

La réalité peut être différente en Centre jeunesse où une grande proportion des fugues officielles sont rapportées. «Il faut être à l’écoute des parents, tenter de comprendre les émotions qu’ils vivent, essayer le plus possible de les soutenir et aussi de comprendre que parfois les parents sont dans un conflit de loyauté avec leur enfant», mentionne Vicky Éthier, qui est éducatrice en Centre jeunesse au CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de Montréal.

Certains parents peuvent avoir une idée d’où se trouve leur enfant, mais ils ont peur d’aviser le Centre jeunesse, car ils craignent de perdre leur lien avec leur enfant, explique Mme Éthier. 

Elle soutient que les pratiques ont évolué à travers les années. «On est beaucoup dans des interventions de bienveillance. (…) Le défi en ce moment, c’est d’essayer de comprendre le message, la perception que le jeune a aussi de sa propre fugue parce que souvent tout ce qui a rapport avec son placement (en Centre jeunesse) et son avenir, ça peut être quelque chose qui est perturbant, nébuleux pour lui, ou pas dans ce qu’il pense être dans ses intérêts», mentionne Mme Éthier. 

Les intervenants doivent donc tenter de susciter un espoir quant à son avenir afin d’amener le jeune vers un désir de changement. 

Un tabou pour les parents 

Mme Lapierre a demandé de l’aide pour son fils à travers différents canaux, comme un CLSC pour avoir une travailleuse sociale ou encore en téléphonant à des organismes. 

Outre une psychologue qu’elle consultait, elle ne savait pas où aller chercher des ressources pour elle-même. 

Elle a déclaré qu’à l’époque, elle aurait apprécié un outil qu’elle peut consulter en ligne sans alerter personne et où elle aurait pu aller chercher de l’information anonymement. 

Le site jeunesenfugue.ca du CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de Montréal offre des outils et conseils pour les intervenants, les parents et les jeunes en fugue. Mme Lapierre a d’ailleurs participé à un balado sur le sujet qui est disponible sur ce site web.  

La mère de famille souligne que ce genre de ressource permet de se sentir moins seule. «Ça dédramatise parce que tu vois que tu n’es pas le seul parent à vivre ce genre de honte ou de déni», dit-elle. 

Cette honte a fait en sorte qu’elle n’a pas utilisé le terme fugue jusqu’à ce qu’elle participe au balado. «Oui, il y a énormément de tabou, de gêne, dans mon cas il y avait énormément de dénis. Je me disais que l’appel de la maison finirait par lui faire entendre la raison, mais non, ç’a été comme ça pendant presque deux ans», raconte-t-elle. 

L’organisme En Marge 12-17 offre depuis une vingtaine d’années un volet famille qui accompagne spécifiquement les parents et les familles de jeunes fugueurs, a fait savoir M. Paradis. Comme intervenant, il remarque que les parents se sentent souvent isolés et ils ne savent pas à qui en parler et c’est pourquoi ils se tournent vers un organisme communautaire. 

«Ce qui est intéressant, c’est de créer une communauté de soutien et d’entraide entre parents qui vivent des choses assez similaires. Ils se reconnaissent dans les autres, ils ne se sentent pas seuls à vivre ces difficultés. Ça leur permet d’améliorer leur sentiment de compétence parental», dit-il. 

Aujourd’hui, grâce au soutien d’une travailleuse sociale, le fils de Mme Lapierre a le vent dans les voiles. Il intervient auprès des personnes en situation d’itinérance dans un organisme communautaire montréalais, il est sobre depuis deux ans et il a renoué ses liens d’amitié avec ses amis d’enfance. 

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