Québec n’aura pas à verser 700 000 $ à Jean Charest

Par Patrice Bergeron, La Presse Canadienne 11:20 AM - 5 avril 2024
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La Cour supérieure a rejeté une demande de l'ex-premier ministre Jean Charest qui réclamait plus de 700 000 $ au gouvernement du Québec. Photo prise le 10 septembre 2022 à Ottawa. LA PRESSE CANADIENNE/Sean Kilpatrick

Le gouvernement du Québec n’aura pas à verser 700 000 $ à Jean Charest pour abus de procédures.

La Cour supérieure a rejeté la demande de l’ancien premier ministre. La décision a été rendue cette semaine par le juge Gregory Moore. 

Toute cette affaire est en lien avec la fuite de documents confidentiels de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans les médias en 2017. M. Charest avait alors poursuivi l’État pour atteinte à sa vie privée et avait obtenu 385 000 $ dans un jugement de la Cour rendu en avril 2023.

Par la voix de ses avocats, M. Charest avait ensuite déposé une autre requête pour plaider que le Procureur général du Québec avait abusé de la procédure en ce que l’essentiel de son système de défense était «faux, manifestement mal fondé et dilatoire».

Dans sa décision rendue mardi, le juge Gregory Moore n’est pas de cet avis et rejette la demande de déclaration d’abus de procédure.

«Nous n’émettrons pas de commentaires», a répondu l’attachée de presse de Jean Charest, Laurence Toth.

M. Charest réclamait plus de 200 000 $ en dommages-intérêts punitifs, 512 000 $ pour payer les honoraires de ses avocats, ainsi que 5000 $ en dommages moraux. Le montant totalisait ainsi 717 000 $.

Les avocats de M. Charest plaidaient notamment que «ni le gouvernement, ni le Ministre, ni le Commissaire n’avaient, en temps opportun, mis en place des mesures requises par la Loi sur l’accès et à la protection pour empêcher le préjudice causé au demandeur ou pour empêcher sa répétition envers tout autre citoyen, comme ils en avaient le devoir».

En réponse, le Procureur général du Québec niait cette prétention et affirmait que des «mesures adéquates» étaient en place, une réponse qui était considérée comme un abus de procédures par les représentants de M. Charest. 

Le Procureur général rédige cette réponse alors que l’UPAC possède notamment un rapport d’enquête administrative relevant des failles dans son système informatique, note le demandeur.

Le juge Moore laisse entendre que le demandeur aurait dû entre autres questionner le Procureur général pour qu’il précise sa position et aurait dû aussi demander un interrogatoire préalable. 

La position de M. Charest repose sur l’hypothèse que quelqu’un de l’UPAC a eu accès à ces renseignements alors qu’il n’avait pas les autorisations requises et qu’il les a transmis par voie électronique à un journaliste, résume le juge en tranchant: «or, M. Charest n’a pas prouvé l’identité de l’auteur de la fuite des renseignements ni le moyen utilisé pour les communiquer au journaliste».

Les avocats de M. Charest soutenaient en outre que leur client «avait le droit constitutionnel à la protection des renseignements relatifs à sa vie privée (…), et le gouvernement, le Ministre, le Commissaire et son personnel avaient l’obligation légale corollaire et constitutionnelle de prendre des mesures nécessaires pour en protéger la confidentialité».

La défense a pour sa part plutôt argué que «pour tout ce qui touche aux enquêtes criminelles, le Commissaire à la lutte à la corruption doit être indépendant de l’exécutif et le gouvernement doit s’abstenir d’intervenir sur la façon dont le Commissaire exerce ses fonctions à cet égard».

M. Charest déplore que le Procureur général a attendu à la toute fin pour divulguer cet argument, selon lequel l’UPAC «refuse d’être assujetti aux lois qui protègent les renseignements personnels».  

Le juge n’adhère pas à cette thèse et affirme que c’est une «interprétation inexacte» de la position du Procureur général.

Le Procureur général «admet que le Commissaire et les membres de l’UPAC sont soumis à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, mais rappelle les articles 16.1 et 17 de la Loi concernant la lutte à la corruption qui autorisent le partage de renseignements personnels entre les membres de l’UPAC et avec d’autres ministères dans le respect de leurs obligations de protéger les droits à la vie privée», écrit le juge Moore. 

Enfin, la poursuite soutenait que le défaut du PGQ de communiquer des documents en temps utile constitue un abus de procédure.

Le juge répond que la défense n’a «pas agi de manière abusive», qu’elle a répondu aux demandes de documents de l’équipe de M. Charest et qu’elle n’a «pas pris un temps déraisonnable» pour ce faire.     

Enquête Mâchurer

Rappelons que toute cette affaire découle l’enquête Mâchurer de l’UPAC, entreprise en avril 2014, sur le financement sectoriel mené par le Parti libéral du temps où il était dirigé par M. Charest.

Trois ans après, en 2017, le Journal de Montréal a publié des documents détenus par l’UPAC.

Ils révèlent notamment que M. Charest a été sous surveillance policière et que l’UPAC cherchait à obtenir ses communications avec Marc Bibeau, présenté comme le grand argentier du PLQ à l’époque où M. Charest le dirigeait.

L’UPAC voulait aussi connaître les allées et venues aux frontières des deux hommes. Dans ces documents, l’UPAC disait enquêter sur la corruption et l’abus de confiance, deux infractions criminelles.

Des renseignements personnels sur M. Charest ont aussi été refilés au Journal de Montréal. Dans son jugement d’avril 2023, le juge Moore a écrit qu’il s’agissait d’une «faute lourde» de l’UPAC. 

Le Procureur général du Québec a confirmé qu’un membre de l’UPAC était à l’origine de la fuite et que les renseignements provenaient d’un dossier d’enquête de l’UPAC.

Étant donné la gravité de l’affaire, le ministère de la Sécurité publique a demandé en 2018 au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) de faire la lumière sur les fuites.

Il a relevé un total de 37 fuites aux médias entre 2012 et 2018. Mais par la suite, l’enquêteur du BEI a revu à la hausse le nombre de fuites pour l’établir à 54.

M. Charest n’a pas été accusé dans le cadre de l’enquête Mâchurer, où il était mentionné comme «personne d’intérêt», mais il estimait que la divulgation d’information avait terni sa réputation.

«Un Commissaire ou un membre de l’UPAC qui enfreint autant de lois qui encadrent ses fonctions fait preuve d’une insouciance, d’une imprudence et d’une négligence grossières vis-à-vis ses obligations», avait conclu le juge Moore, qui lui avait donc donné raison en lui accordant 385 000 $.

L’enquête Mâchurer a été abandonnée en février 2022 sans qu’aucune accusation ne soit jamais portée contre qui que ce soit.