Cancer: quels bienfaits pour les participants aux essais cliniques?

Par Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne 4:23 PM - 26 mai 2024
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Il n'y a aucune preuve que le fait d'exclure des patients des essais cliniques pour des raisons géographiques, de non-disponibilité d'essais dans leur pathologie, ou d'inéligibilité, les prive de chances de survie, assurent les auteurs de l'étude. (AP Photo/Gerry Broome, File)

Les patients qui participent à des essais cliniques pour tester l’efficacité de nouvelles thérapies contre le cancer n’en retireront vraisemblablement que des bienfaits personnels très modestes, voire inexistants, et leur participation servira surtout à faire progresser la science, indique un bioéthicien de l’Université McGill qui s’est intéressé à la question en profondeur.

La «supposition» que la participation à de tels essais cliniques est bénéfique pour les patients est bien ancrée dans le milieu de la recherche médicale, a dit le professeur Jonathan Kimmelman.

Toutefois, a-t-il expliqué lors d’un long entretien avec La Presse Canadienne, un examen plus détaillé de la situation révèle que ces «bienfaits» sont probablement attribuables à différents facteurs confondants qui n’ont que peu à voir avec l’essai clinique lui-même.

«En règle générale, les essais cliniques recrutent les patients qui sont les plus en santé, a-t-il cité en exemple. Si on veut mener un essai, il faut que la personne se présente à ses rendez-vous. Vous ne voulez pas que d’autres maladies interagissent avec le médicament. Vous voulez donc que les malades les plus sains participent à votre essai.»

Les patients atteints d’un cancer sont habituellement plus «performants» que les autres, a-t-il ajouté; ils pourront par exemple être plus en mesure de s’habiller ou de se déplacer seuls que les patients souffrant d’une maladie cardiaque. Les participants aux essais cliniques seront aussi souvent un peu plus jeunes que la population générale des patients atteints de cancer. 

«C’est pourquoi, si vous constatez que les patients bénéficient d’avantages ou survivent plus longtemps dans les essais, cela pourrait simplement refléter le fait que vous recrutez des personnes et des patients en meilleure santé que les personnes qui se présentent à la clinique», a expliqué le professeur Kimmelman.

Le chercheur de McGill et ses collègues ont récemment publié dans le prestigieux journal médical JAMA une méta-analyse pour laquelle ils ont examiné les résultats de 39 essais cliniques qui ont comparé l’issue pour les patients qui participaient à un essai clinique à l’issue pour les patients qui ont reçu les soins habituels.

Les avantages de la participation à ces essais en termes de survie «diminuent ou disparaissent dans les études qui tiennent compte des diverses sources de biais et de confusion», écrivent-ils.

«Lorsque l’on rassemble les études et que l’on examine les études de haute qualité, il ne semble pas y avoir de bénéfice en termes de survie à participer à des essais», a complété le professeur Kimmelman, qui précise que ses collègues et lui se sont uniquement intéressés aux essais cliniques contre le cancer.

«Il n’y a pas non plus d’inconvénient en termes de survie, ce n’est pas que les gens meurent plus tôt. Mais il n’y a pas de bénéfice pour autant que nous puissions le détecter.»

Deux avantages

Il y a deux manières dont les participants à des essais cliniques pourraient potentiellement, et personnellement, profiter de leur participation, a précisé le professeur Kimmelman: tout d’abord en ayant accès à un médicament qui est potentiellement supérieur au traitement habituel, mais aussi en profitant de soins plus poussés et plus personnalisés que ce qu’ils recevraient autrement.

«Au lieu d’être soigné dans un petit hôpital régional de Chicoutimi, le patient sera soigné au CHUM ou au CUSM, a-t-il illustré. Ça peut faire une différence.»

Une autre étude publiée récemment par le professeur Kimmelman et ses collègues démontrait que même l’accès à un traitement expérimental et possiblement supérieur n’influençait pas vraiment la survie des participants.

Il semblerait donc que le «bienfait de participation» et le «bienfait d’accès» ne soient pas aussi réels que plusieurs se plaisent à le croire, du moins dans le cas des essais cliniques réalisés pour combattre le cancer. Cela n’empêche pas plusieurs chercheurs d’affirmer que les participants aux essais cliniques s’en tirent nettement mieux que les autres, même s’il existe plusieurs indications à l’effet contraire dans la littérature scientifique.

«La raison même pour laquelle on fait un essai clinique est que les preuves observationnelles sont très faillibles à cause de ces facteurs confondants, a dit le professeur Kimmelman. Je trouve donc toujours ironique que les personnes qui dirigent les essais soient parfois si peu critiques à l’égard d’une allégation fondée sur des données d’observation.»

Ces résultats peuvent décourager certains défenseurs des essais, compte tenu des efforts qu’ils déploient pour améliorer les résultats pour les patients dans le cadre des essais, peut-on lire dans le JAMA.

Cependant, une interprétation plus rassurante est qu’il n’y a aucune preuve que le fait d’exclure des patients des essais pour des raisons géographiques, de non-disponibilité d’essais dans leur pathologie, ou d’inadmissibilité, les prive de chances de survie, ajoutent les auteurs de l’étude.

«Souvent, les patients atteints d’une maladie très grave sont prêts à tout essayer, et le fait de participer à un essai peut être extrêmement réconfortant pour eux, a rappelé le professeur Kimmelman. Mais souvent, ce n’est pas possible parce qu’ils ne sont pas admissibles. L’aspect rassurant de ce que nous avons découvert est que si vous êtes un patient et que vous êtes déçu de ne pas pouvoir participer à un essai, même si vous êtes déçu, vous ne devez pas vous inquiéter d’être désavantagé en termes de survie. Du moins, pas en ce qui concerne la prolongation de la survie.»

Il est crucial que les patients qui participent à des essais cliniques fournissent un consentement éclairé, a rappelé M. Kimmelman, et cette nouvelle étude devrait y contribuer en leur démontrant que leur participation bénéficiera essentiellement à la société et aux progrès de la science, ce qui en soi est une motivation louable.

«Ça nous dit aussi qu’on n’a pas besoin de participer à des essais cliniques pour obtenir les meilleurs soins possibles, a-t-il conclu. Et ça, c’est bien dans un pays comme le Canada, où il peut être frustrant pour la population de réussir à avoir accès à des soins spécialisés.»