Travailleurs étrangers temporaires : ils sont parmi nous… et indispensables

Par Emelie Bernier 9:01 AM - 11 juin 2024 Initiative de journalisme local
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Ismael Cutzal.

Ils sont une main-d’œuvre essentielle et sans eux, nombre d’entreprises québécoises peineraient à garder leurs portes ouvertes. En mars dernier, la journaliste et chroniqueuse Émélie Bernier est allée au Guatemala à la rencontre de travailleurs étrangers temporaires qui font chaque année la navette entre leur pays et le nôtre. L’objectif ? Comprendre leurs motivations et les impacts de ce choix qui les éloignent durant plusieurs mois de leur famille et de leur communauté. Voici le premier portrait d’une série de quatre. 

Ismael Cutzal, membre de la famille Servallée

En ce jour de mars torride, Ismael Cutzal m’accueille à la barrière de la communauté fermée où il habite avec sa femme Marta et ses enfants. À pied, nous partons vers la parcelle qu’il a louée afin d’y planter des fraises. Le champ est impeccable et les fruits abondants malgré la sécheresse qui sévit.

Le fille d’Ismael, Margareth (à droite), fréquente l’école du village de Zaragoza.

S’il a les moyens de produire ces fruits destinés au marché guatémaltèque, c’est grâce à ses revenus en sol canadien. Mais les défis sont importants pour celui qui voyage d’un pays à l’autre chaque six mois. 

Fils d’agriculteur, Ismael Cutzal n’a jamais eu accès à la terre. Gagner sa vie au Guatemala n’est pas facile et à Zaragoza, une majorité d’hommes en âge de travailler séjourne plusieurs mois par an au Canada.

« Avant de partir travailler dans le nord, je cultivais des fraises. Elles ont été attaquées par une maladie et on a perdu toute notre récolte. On n’a aucun recours ici, pas d’assurance, alors on n’a tout simplement pas eu de revenus cette année-là… Il fallait recommencer à zéro », raconte-t-il sans s’apitoyer.

Un de ses cousins travaillait déjà pour la pépinière de Servallée à Forestville. Il lui a tendu une perche bienvenue. « Il m’a recommandé à ses patrons. J’ai eu l’aide de ComuGuate pour faire toutes les démarches et je suis parti à mon tour. C’est la seule solution que j’ai trouvée », indique M. Cutzal.

La décision a eu un impact positif sur la vie quotidienne de la famille au Guatemala. « Nous vivions dans une cabane sans porte, sans fenêtre, sans cuisine. Tout s’est amélioré, mais je trouve toujours difficile de quitter, surtout que je laisse énormément de travail à mon épouse dans les champs », explique le père de famille.

Près de lui, sa femme, vêtue de son huipil (chemisier traditionnel maya) coloré qu’elle a brodé elle-même, sourit doucement. Il est vrai que la culture des fraises atteint un pic quand son mari est absent, mais elle accomplit la besogne sans rechigner. Pour le bien de leurs enfants, dont elle doit également s’occuper seule, six mois par an depuis quatre ans.

Avec ses enfants Tadeo et Margareth.

« Le plus difficile, c’est qu’on n’arrive pas à engager de l’aide parce que beaucoup d’hommes de Zaragoza partent eux aussi dans le nord et ceux qui restent sont déjà occupés », confie Ismael Cutzal.

Comme tous ceux qui prennent le chemin du Canada, l’homme trouve pénible l’éloignement de sa famille. « Nous avons pris la décision ensemble, ma femme Marta et moi, mais de la laisser avec tout le travail, les enfants, c’est dur », indique Ismael Cutzal.

Cette année et la prochaine feront exception. « Je reste au Guatemala parce que nous devons faire tour à tour du service communautaire de deux ans dans notre village », explique-t-il.

Heureusement, son employeur, Servallée, l’attendra. « Ils m’ont dit que les portes seraient ouvertes quand je pourrai revenir, ça me fait plaisir de savoir qu’ils m’apprécient assez pour garder mon poste », commente-t-il.

Lorsqu’on lui demande s’il recommanderait aux jeunes de sa communauté de faire, comme lui, le saut vers le nord, Ismael Cutzal hésite un instant.

Marta et Ismael passeront les deux prochaines années ensemble. Ce n’est qu’en 2026 que le second reviendra au Québec. Même s’il faudra se serrer la ceinture, Marta est heureuse de garder son homme auprès d’elle.

« Je leur souhaite de pouvoir bien gagner leur vie ici, de trouver un bon emploi, mais si c’est impossible, le travail au nord est une bonne option, sécuritaire. Je suis tombé sur un excellent employeur qui m’accueille comme un membre de la famille, mais ce ne sont pas tous les patrons qui sont comme ça… »

Chez Servallée, il sait qu’il a la confiance de son employeur. « Je gagne de mieux en mieux chaque année, mon travail évolue. Je donne le meilleur de moi-même. Je pense que si tu es responsable, les portes s’ouvrent. C’est aussi ça que je dirais aux jeunes qui sont tentés par l’expérience. »

Ismael Cutzal en convient, il sera difficile de se priver des importants revenus que lui rapporte son travail pour Servallée. « Mais au moins, je serai avec ma famille », se console-t-il. Le sourire de Marta, lui, vaut 1 000 mots.

Ismael a repris la culture des fraises.

Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.

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