Le crime organisé en terre innue

Par Alexandre Caputo 7:30 AM - 30 novembre 2022 Initiative de journalisme local
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La présence d’individus s’affichant comme membres du crime organisé sur les communautés se fait remarquer. Photo courtoisie

La présence de Hells sur des communautés innues fait réagir tandis que les autorités constatent que le crime organisé ne se fait pas prier pour profiter de leur vulnérabilité, allant même jusqu’à vendre la drogue quatre fois le prix dans des villages plus en retrait.

Un comprimé de métamphétamine peut se vendre jusqu’à 20$ à Pakua Shipi, petite communauté innue d’un peu plus de 200 âmes, située à 550km au nord-est de Sept-Îles.


Sur le marché du Sud de la province, la même pilule se vend aux alentours de 2,50$, selon plusieurs sources du milieu.


«Dès qu’il y a de l’argent à faire, le crime organisé va être là», lance d’entrée de jeu en entrevue le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière. «Ce sont des gens sans scrupules comme eux qui contribuent aux problèmes sociaux que nous connaissons», renchérit-il.


«La consommation amène d’autres problèmes», ajoute pour sa part Jérôme Bacon St-Onge, vice-chef de la communauté de Pessamit. «La drogue peut inciter la violence physique, la violence sexuelle, la commission de crimes pour arriver à payer la consommation, en plus d’augmenter le risque de problèmes de santé mentale», explique celui qui a auparavant œuvré 12 ans comme policier dans sa communauté.


La consommation de stupéfiants est également «problématique» à Pakua Shipi, affirme André Vollant, enquêteur pour le service de police de la communauté innue.


«La drogue entre sur la communauté par avion, par bateau, par courrier avec Postes Canada. L’hiver, certaines personnes traversent même la rivière en motoneige pour que la drogue se rende», explique-t-il.


De la drogue dans des couches


«Des couples peuvent dépenser 400$ par jour en drogue», se désole M. Vollant.
Il souligne que l’appât du gain de la vente et le désir de consommer peuvent inciter des individus à être plus imaginatifs dans leurs moyens pour réussir à faire entrer la drogue sur les communautés.


«Nous avons même déjà su que des parents cachaient la drogue dans la couche de leur enfant pour éviter de se faire prendre», raconte-t-il.


De son côté, le ministre Lafrenière s’est dit attristé par de tels faits.


«Ma première réaction en entendant cette histoire est la réaction d’un père de famille», dit M. Lafrenière. «Ça me brise le cœur et ça m’affecte beaucoup de voir des familles qui en arrivent là à cause de la consommation», ajoute-t-il.


L’enquêteur André Vollant se sent à bout de ressources devant les moyens de plus en plus variés pour dissimuler la drogue dans sa petite communauté. «Et la collabo-ration avec Postes Canada est difficile», souligne-t-il.


Postes Canada n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue concernant le trafic de drogue par courrier.


Des vestes bien en évidence


Le ministre Lafrenière est récemment sorti sur la place publique pour témoigner de la présence d’individus s’affichant comme membres d’une organisation criminelle dans la ville de Sept-Îles. Le ministre les a lui-même croisés au restaurant.


La tradition veut que des membres et des représentants du gang viennent annuellement rappeler leur présence dans la région.


Les vestes de cuir arborant la tête de mort ailée ont aussi été remarquées dans la région de Natashquan et Ekuanitshit à l’été 2021.


La scène fut saisissante lorsque des membres de la communauté semblaient prendre plaisir à être photographiés en compagnie de l’emblème tristement célèbre.


Le ministre déplore le fait que des séries télévisées dans le style de Sons of Anarchy tendent à «glamouriser» le principe du crime organisé pour le citoyen moyen, ce qui aide les organisations à être vues d’un bon œil lorsqu’elles s’affichent.


«Il ne faut pas oublier que ce sont ces individus-là qui vendent de la drogue à nos enfants», dit-il, précisant qu’il est loin de s’agir d’un problème propre aux communautés autochtones.


M. Lafernière estime que les groupes criminalisés ne sont pas nécessairement plus présents sur les communautés, mais qu’ils sont clairement plus «visibles».


«C’est une méthode d’extorsion et d’intimidation que le crime organisé utilise pour passer le message à la population que ce sont eux qui contrôlent les opérations.»

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