Les gens ont faim et volent les épiceries

Par Marie-Eve Poulin 6:00 AM - 20 avril 2023
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L’augmentation des vols dans les épiceries et la hausse des demandes d’aide alimentaire démontrent l’impact direct sur la population de l’augmentation du coût de la vie. En 2022, près de 1,5 million de visites ont été enregistrées dans les banques alimentaires canadiennes, ce qui en fait le plus haut niveau d’utilisation de l’histoire au mois de mars et la Côte-Nord n’y échappe pas. 

Des employés d’épiceries de Sept-Îles confirment que le vol d’aliments dans les épiceries a grandement augmenté, depuis la récente hausse du coût de la vie. Les gens dans des situations plus précaires peinent à se nourrir et certains vont jusqu’à voler. 

« En plus, avec les caisses libre-service, il faut redoubler la surveillance, puisque les gens en profitent pour voler. Le manque de personnel complique aussi la surveillance des allées. Mais on se fait voler c’est fou ! », dit un employé d’épicerie. 

Les pertes non déclarées dues aux vols pourraient atteindre 3 000 $ à 4 000 $ par semaine dans certaines épiceries canadiennes, selon le Rapport annuel sur les prix alimentaires 2022.

Le rapport rédigé par quatre universités dont Dalhousie prévoyait l’augmentation de l’insécurité alimentaire et des vols dans les épiceries au détail, en plus d’aborder les difficultés qu’allaient vivre les organismes d’aide, en fonctionnant avec un financement et des budgets stagnants. 

C’était prévisible

Sylvain Charlebois, directeur principal, Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’université Dalhousie croit qu’il fallait s’y attendre. Étant sur le conseil d’administration d’une des plus grosses banques alimentaires du Canada, il fait lui aussi ce triste constat. 

« Il n’y a plus de programmes fédéraux pour offrir un revenu d’appoint pour les gens qui en ont besoin et d’un autre côté les prix ont augmenté », a expliqué l’expert. 

Selon ses calculs, pour une famille qui a une hypothèque d’environ 300 000 $, on parle de paiements supplémentaires de 5 000 $ à 6 000 $ par année venant s’ajouter au poids financier des gens. 

Des solutions

En premier lieu, M. Charlebois pense qu’il faudrait arrêter de voir des gouvernements donner de l’argent pour rien. 

« Ça n’aide pas. Plus un gouvernement dépense, plus l’inflation peut devenir un problème », dit-il. 

« Il faut envisager des solutions à long terme plutôt qu’envoyer de l’argent de façon temporaire et espérer que les gens survivent », ajoute-t-il. 

La situation pourrait encore durer un bon moment. 

« Ça ne finira pas demain, on n’est pas sorti du bois. Ça va être encore une année assez difficile. C’est pour ça qu’il faudrait planifier à long terme. »

« Les solutions les plus efficaces sont celles qui ne politisent pas l’inflation alimentaire, comme on a vu avec le budget fédéral récemment et avec M. Legault avant les fêtes aux élections », ajoute-t-il.

Un programme de revenu garanti serait aussi important. 

Il croit qu’il serait temps de mettre en place un système de timbres alimentaires, comme aux États-Unis. Ces timbres permettent l’achat d’aliments sains dans certaines épiceries. 

« Dans le cas du Québec ou du Canada, je verrais ça pour les produits locaux dans certaines épiceries », dit-il. 

Objectif zéro ventre vide

Le 3 avril, le Parti Québécois demandait au gouvernement de garantir des repas à l’école primaire pour tous les enfants du Québec, et ce, peu importe leur statut social. 

Plusieurs États américains viennent tout juste d’adopter une loi garantissant un déjeuner gratuit et un lunch à tous les étudiants, peu importe le revenu de leurs parents.

« Il y a là de beaux exemples afin de nous inspirer au Québec », dit Paul St-Pierre Plamondon.

« Ce qui est aussi clair, c’est que les coûts de cette mesure seront largement compensés par les gains collectifs en réussite scolaire », ajoute le chef péquiste. 

Celui qui avait fait cette promesse électorale en 2018 croit que le temps leur donne raison quant à cette proposition, puisque le nombre d’enfants ayant le ventre vide est encore significatif et se compte par milliers. M. Plamondon affirme que le Canada est le seul pays du G7 à n’avoir aucune politique alimentaire pour les jeunes à l’école. 

Demandes d’aide alimentaire en hausse

Les gens se tournent de plus en plus vers les ressources d’aide comme les comptoirs alimentaires, les frigos communautaires et les popotes roulantes. 

Tout juste avant Noël, Guylaine Caron, directrice du comptoir alimentaire de Sept-Îles, avait observé une augmentation de 30 % des demandes de paniers pour le temps des fêtes. Depuis ce temps, environ une dizaine de nouvelles familles font des demandes chaque mois.

Du côté du comptoir l’Escale de Baie-Comeau, Josée Gagnon avait rapporté une hausse de 60 % des demandes d’aide. Aujourd’hui, la tendance à la hausse se maintient. En janvier, l’organisme a reçu cinq nouvelles inscriptions, 26 en février et 18 en mars. 

« Je dirais qu’au cours des deux dernières semaines, on a eu un petit peak », dit-elle. 

Valérie Santerre, directrice de Transit Sept-Îles, rapporte une augmentation très importante de l’utilisation du frigo communautaire. 

Elle constate beaucoup de va-et-vient de gens qui viennent porter des choses, ou qui viennent en chercher.

« C’est fou ! Il n’y a jamais rien dans le frigidaire », constate-t-elle. 

En chiffres

Les pertes non déclarées dues aux vols pourraient atteindre 3 000$ à 4 000$ par semaine dans certaines épiceries canadiennes. En 2022, près de 1,5 millions de visites ont été enregistrées dans les banques alimentaires canadiennes. 

*Source : Rapport annuel sur les prix alimentaires 2022

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