L’Alliance forêt boréale questionnée

Par Karianne Nepton-Philippe 5:00 PM - 25 avril 2023 Initiative de journalisme local
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L’Alliance forêt boréale fait discuter sur ses réelles intentions. Photo iStock

L’Alliance forêt boréale (AFB) est scrutée à la loupe et ses motivations sont questionnées en raison de sa volonté à protéger l’industrie forestière.

Il faut tout d’abord savoir que l’Alliance forêt boréale est un regroupement formé en 2014 par des élus municipaux de la Côte-Nord et du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Son but : favoriser les échanges entre les milieux afin d’améliorer la cohésion entre les parties environnementales et économiques. C’est un organisme sans but lucratif. 

« Notre raison d’être est de donner une voix aux communautés forestières. Sur les deux territoires qu’on représente, il y a environ 65 municipalités, dont 34 sont mono-industrielles forestières », explique Yanick Baillargeon, président de l’AFB. Ce dernier indique que c’est le rôle premier de l’organisme, d’être « le porte-parole de ces gens, par manque d’écoute de la part des gouvernements ».

Les citoyens veulent des réponses

Lors de la séance ordinaire de la MRC de Manicouagan le 19 avril, Éloise Carré et Philippe Boudreau ont questionné le financement de la MRC à l’organisme. Les deux citoyens de Baie-Comeau sont abasourdis depuis la publication d’un dossier complet sur le sujet, paru dans La Presse le 11 avril. 

« Est-il approprié d’utiliser des fonds publics pour financer un organisme qui nie ou déforme les connaissances scientifiques pour faire valoir les intérêts de l’industrie forestière au détriment de la protection de l’environnement et de la culture innue, et conséquemment l’intérêt public? », s’inquiète notamment M. Boudreau. 

Le maire de Pointe-aux-Outardes, Julien Normand, en remplacement du préfet, Marcel Furlong, a défendu le rôle de la MRC dans ce dossier. En faisant référence à la rencontre tenue à Forestville le 13 avril par l’AFB, il soutient : « Il y a eu plusieurs échanges et ce qui s’est dit en bout de ligne, c’est que le but est de travailler ensemble pour arriver à trouver des solutions économiques et fauniques viables. »

« Le but, c’est que tout le monde travaille en parallèle », a-t-il ajouté précisant l’importance de rester prudent afin de « protéger le caribou forestier et protéger nos entreprises ».

Cette réponse ne rassure pourtant pas Philippe Boudreau qui rétorque : « Est-ce que c’est le rôle des MRC de se positionner de cette façon-là? Est-ce que ce n’est pas plutôt à l’industrie de le faire, si elle veut le faire? Est-ce que c’est à la MRC de faire ça et est-ce que c’est représentatif de la population? »

Financement 

Le financement de l’AFB est divisé en deux. Il y a d’abord les cotisations des MRC de la Côte-Nord. Les MRC du Saguenay-Lac-Saint ont déposé un projet dans le Fonds régions et ruralité pour que le financement provienne de celui-ci. Ensuite, par dépôt de projets, une aide financière a été accordée par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH). 

Dans le dossier publié par La Presse, les lecteurs apprenaient que les MRC et les municipalités ont versé au total 129 222 $ depuis dix ans. Le MAMH a contribué pour 202 500 $ de 2014 à 2022, tandis que les MRC de Manicouagan et de la Haute-Côte-Nord ont respectivement octroyé 75 500 $ et 27 000 $. 

« Les fonds qui sont mis à ce niveau-là sont vraiment minimes par rapport à l’ensemble des projets et sont faits pour s’assurer qu’il y aura une équité entre les deux », a déclaré M. Normand à la séance de la MRC. En revanche, pour les citoyens dénonciateurs, le montant importe peu. Pour eux, c’est « très discutable au point de vue éthique ».

« Il y a par exemple 75 000 $ qui s’en vont à AFB, qui ne sont pas nécessairement des projets concrets de notre MRC. En tant que citoyenne, j’y vois des budgets qui pourraient être réaffectés à des projets en lien avec le développement de la MRC, comme des projets environnementaux et sociaux qui respectent plus mes valeurs », fait savoir Éloise Carré. 

Son confrère soulève également « l’étrange disparité » dans le financement. « La MRC Manicouagan est de loin la plus généreuse, alors que les bureaux de l’AFB sont au Saguenay–Lac-Saint-Jean et que, jusqu’à présent, l’essentiel des activités de l’organisme visent à faire contrepoids aux mesures de protection du caribou forestier », poursuit-il. 

Les clans s’opposent

Des oppositions à des projets d’aires protégées sur le Nitassinan, des raccourcis, un manque d’écoute ; ce ne sont que quelques exemples soulevés par les gens soucieux du manque de représentation d’experts environnementalistes dans les discussions. Mais, M. Baillargeon est en désaccord sur le manque d’ouverture. En fait, pour lui, toutes les parties veulent aller « à la même place » sans avoir cependant la même compréhension. Ce dernier rappelle être dans un état d’esprit où le but est d’aller chercher l’équilibre. 
La question reste : est-ce que les intérêts de l’industrie forestière doivent être priorisés au détriment de la sauvegarde du territoire? « On discute avec l’industrie forestière pour comprendre leur réalité et ce à quoi ils font face. On ne se le cachera pas, il y a des enjeux économiques pour les communautés forestières. Sur les deux territoires, c’est 20 000 emplois directs et indirects », réitère M. Baillargeon.  « Pour moi, il y a un manque d’informations et de connaissances sur les impacts réels. Mais je pense que c’est des deux côtés », croit-il. 

Validité de l’Alliance forêt boréale 

« Les élus ont décidé de se prendre en main et de créer le regroupement en 2014. Un peu comme on le voit dans certaines régions, comme pour l’aluminium. Des élus se rassemblent pour se doter d’une vision pour avoir des tables de discussions pour échanger et trouver des solutions pour l’avenir de nos communautés », défend M. Baillargeon. 

Ce dernier, présent au conseil d’administration depuis 2017, remarque l’évolution dans les pratiques des industriels et dans l’ouverture gouvernementale de la préservation de la nature. 

Pour Philippe Boudreau, « l’industrie forestière effectue déjà des activités de lobbying auprès du gouvernement, de même que les syndicats qui représentent les travailleurs forestiers ».

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