Traumatisé, un paramédic de Baie-Comeau gagne sa cause
Un technicien ambulancier paramédic de Baie-Comeau a gagné sa cause devant le tribunal administratif du travail. Photo Stéphanie Vallières
Alain Tremblay* vient de conclure une bataille devant le tribunal administratif du travail. L’ambulancier de Baie-Comeau, qui cumule 36 ans de carrière, est tombé au combat. Les événements traumatiques qu’il a vécus en un court laps de temps lui ont fait perdre sa passion et gagné un syndrome de stress post-traumatique et une dépression majeure.
Le 3 août, le tribunal a tranché en sa faveur. Son employeur, la compagnie ambulancière Paraxion, ne reconnaissait pas son droit d’obtenir des prestations de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) pour des « lésions professionnelles ».
Cesdites lésions sont plutôt attestées pour des cas de blessures physiques. Mais dans celui de M. Tremblay, les blessures sont de nature psychologique.
C’est le 24 juin 2018 que tout s’est envenimé. Le technicien ambulancier paramédic reçoit un appel de la répartitrice. Il doit porter secours à une femme qui s’est infligée des brûlures. « Elle s’est immolée en se renversant de l’huile à fondue sur le corps et en y mettant le feu », peut-on lire dans le jugement rendu par la juge Sophie Moulin.
Alain a encore de la difficulté à en parler. « Un ambulancier est formé pour à peu près toutes sortes de situations. Mais il y a des situations qui sortent de l’ordinaire. Je pensais avoir tout vu, d’être prêt pour tout. J’étais un tank et le dernier qui allait tomber chez nous, c’était moi », chuchote-t-il, peinant à contenir ses émotions.
Dans les jours qui suivent, l’ambulancier sait au fond de lui que plus rien n’est pareil. Troubles du sommeil, flashback de l’événement, envie de pleurer ne sont que des exemples de symptômes qui l’empêchent de vivre normalement.
Toutefois, la honte et les tabous le privent de soins médicaux immédiats. « Je me disais que ça allait passer. Je me mettais un nez de clown, une fausse moustache et des lunettes. Je disais à tout le monde que j’allais bien. Au fond, ça n’allait pas », se remémore-t-il.
Ce n’était que le début. Malheureusement, deux autres événements traumatiques sont survenus durant les trois années suivantes, lors desquelles il a continué à travailler malgré son mal-être et ses peurs. En fait, ils sont arrivés le même jour : le 21 février 2021.
Le paramédic retrouve en matinée un de ses amis dans un état de rigidité cadavérique. Un peu plus tard, il doit effectuer une intervention lui demandant de nettoyer des excréments pour secourir un homme en douleur thoracique.
Bouleversé, il doit prendre un congé planifié de deux jours. « Lors de ce congé, il pleure, vit des crises de panique et d’angoisse, pense au suicide et ressent un serrement à la poitrine », résume le document judiciaire.
Diagnostic
Alain Tremblay se rend à l’évidence : il doit consulter un professionnel de la santé parce que rien ne va plus pour lui. Après plusieurs consultations, il décide de se confier à son médecin. Il est finalement référé à une psychiatre qui confirme deux diagnostics, soit le syndrome de stress post-traumatique et la dépression majeure.
« Je ne voulais pas perdre mon emploi. J’avais des factures à payer, une maison, un auto. Je me disais, je vais faire faillite », témoigne l’ambulancier qui devait prendre sa retraite en 2026.
« Quand je me suis dévoilé à mon médecin, il m’a dit : tu ne t’es sûrement pas fait ça en tondant ta pelouse ou en passant ta souffleuse. C’est ta job », dévoile M. Tremblay qui a fait un signalement à la CNESST à la suite de cette discussion.
Ne pas lâcher
Au départ, le 21 février 2021, même la CNESST ne donnait pas son accord au dossier du Baie-Comois. « Quand je leur ai raconté l’événement que j’avais vécu, elle m’a dit que ça faisait partie de la job d’ambulancier de vivre des situations traumatiques », raconte celui qui n’a plus jamais mis les pieds dans une ambulance depuis cette date fatidique.
Ayant droit à des services d’aide juridique via son syndicat, l’homme de 57 ans a contesté la décision de la CNESST. Celle-ci a finalement changé son fusil d’épaule pour se ranger du côté du demandeur. « Une première victoire », déclare Alain Tremblay, qui commencera à recevoir des indemnités.
Une première parce qu’un autre obstacle s’est dressé sur son chemin. Paraxion n’entendait pas rester là les bras croisés. L’entreprise a plutôt choisi de se tourner vers la justice en soutenant que M. Tremblay n’avait pas été victime de lésions professionnelles, que c’était normal pour un ambulancier de vivre ce genre de situations.
« Paraxion ne voulait pas être responsable à 100 % de ma situation. Elle voulait faire reculer la date en 2018, lors du premier événement traumatique que j’ai vécu », explique celui qui n’a pas baissé les bras.
Pourquoi en 2018 ? « Parce qu’à ce moment-là, c’était Ambulances Côte-Nord qui dirigeait la compagnie à Baie-Comeau. Paraxion n’aurait pas été imputable à 100 % », ajoute-t-il.
Une victoire collective
Au terme de cette procédure juridique qui, pour une rare fois, a établi que les traumatismes psychologiques du paramédic étaient considérés comme des lésions professionnelles, M. Tremblay ne regrette rien.
« C’est une grande victoire personnelle, mais c’est aussi une victoire collective », clame-t-il en pensant à ses anciens confrères de travail qui eux aussi pourront vivre des interventions plus traumatisantes.
D’ailleurs, le Baie-Comois cultive un projet d’aide pour les ambulanciers de la région. Il pense notamment à améliorer l’accès aux services psychologiques directement sur les lieux de travail.
Pour le moment, Alain Tremblay se concentre sur son nouveau travail. Il a débuté il y a quelques jours dans un domaine complètement différent qui le stimule. « Je ne suis pas guéri, dévoile-t-il. Mais je reçois de l’aide psychologique et je suis une thérapie. »
D’ailleurs, s’il avait un conseil à donner à ses collègues paramédics, M. Tremblay n’hésite pas une seconde. « Allez consulter ! Ça fait du bien de se confier à une personne neutre, sans jugement. »
* Le technicien ambulancier paramédic de Baie-Comeau souhaite conserver son anonymat. Il s’agit donc d’un nom fictif pour alléger le texte.
Statistiques
Les statistiques canadiennes démontrent que le taux de suicide chez les techniciens ambulanciers paramédics est beaucoup plus élevé que pour la population en général.
Chez les hommes, le taux de suicide s’établit à 17 pour 100 000 alors que chez les femmes, il s’élève à 5,4 pour 100 000. Quand on isole les ambulanciers, ce chiffre augmente à 47,7 pour 100 000, selon les données de Tema Conter Memorial Trust, un organisme canadien venant en aide au personnel d’urgence souffrant de problèmes de santé mentale.
Il est aussi démontré que les paramédics sont les premiers répondants avec le plus haut taux de suicide, soit devant les policiers et les pompiers.
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