Soutenir des épiciers d’ici avant de se tourner vers l’étranger, selon des experts
Certains experts estiment que le gouvernement fédéral devrait chercher des moyens de soutenir les petites entreprises d'alimentation régionales. Photo Graeme Roy
Au lieu de courtiser un épicier étranger afin qu’il s’installe au Canada, certains experts estiment que le gouvernement fédéral devrait chercher des moyens de soutenir les petites entreprises d’alimentation régionales afin de stimuler la concurrence.
Le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a déclaré cette semaine qu’il contactait des entreprises alimentaires étrangères dans l’espoir qu’elles viendront au Canada et contribueront à renforcer la concurrence dans l’industrie.
«Est-ce que je vais réussir? Je ne le sais pas. Mais certainement, ça vaut la peine d’essayer», a dit le ministre fédéral aux journalistes mardi, ajoutant que davantage d’acteurs sur le marché contribueraient à exercer une pression à la baisse sur les prix.
Même si l’arrivée d’un nouveau détaillant à prix réduits comme Aldi ou Lidl pourrait créer une certaine concurrence sur le coût du panier d’épicerie, il n’est toutefois pas si facile pour une chaîne étrangère de venir au Canada et de réussir, croit le fondateur de la société de conseil SKUFood et ancien cadre de Loblaw, Peter Chapman.
D’une part, la population relativement petite du pays et son étendue géographique font qu’il est difficile pour les entreprises de construire un réseau de magasins et de centres de distribution, en particulier pour les produits frais, soutient-il.
«La logistique est un élément essentiel du succès dans ce secteur et peut représenter une part importante de vos coûts, expose M. Chapman. Donc, si vous ne savez pas comment transporter correctement les produits, vous pouvez rencontrer de nombreux problèmes.»
D’autres obstacles comprennent les exigences et les réglementations, ainsi que les difficultés de commercialisation dans des régions très différentes du pays, comme le Québec
«Ce n’est pas parce qu’on ouvre un magasin et qu’on y propose des produits que les gens vont quitter le détaillant où ils font leurs courses», soutient M. Chapman.
Le Canada dispose déjà d’un secteur «robuste» de magasins d’alimentation à prix réduit, mentionne-t-il, entre les enseignes des grands distributeurs, comme Walmart, et les magasins à bas prix tels que Dollarama, qui élargissent leur offre de produits d’épicerie.
Si un nouveau concurrent entrait sur le marché, «quels prix devraient-ils atteindre pour pouvoir se tailler une place sur le marché? Et peuvent-ils opérer à ce niveau?», se questionne M. Chapman.
Le gouvernement devrait s’efforcer d’aider l’industrie canadienne, non seulement les épiciers, mais également les entreprises tout au long de la chaîne d’approvisionnement, estime le vice-président principal de la Fédération canadienne des épiciers indépendants, Gary Sands.
«Je suis déçu parce que je ne vois pas comment l’arrivée d’une autre chaîne étrangère au Canada pourrait aider la concurrence ou aider les consommateurs», commente-t-il.
L’exemple Target
M. Chapman qu’il existe déjà deux grandes chaînes d’épicerie américaines au Canada: Walmart et Costco.
Un nouveau joueur aurait probablement des difficultés s’il essayait d’ouvrir un grand nombre de succursales à la fois, au lieu de construire lentement un réseau, avance-t-il.
«Target a essayé d’ouvrir beaucoup de magasins en une seule journée», mais cette expansion au Canada n’a pas duré, rappelle M. Chapman.
Le détaillant populaire a fait irruption sur la scène en 2013 après avoir acquis la plupart des actifs immobiliers de Zellers plusieurs années plus tôt.
Moins de deux ans après l’ouverture du premier magasin Target en sol canadien, la chaîne a annoncé qu’elle fermerait ses 133 emplacements à travers le pays, entraînant la perte de 17 600 employés.
Un exemple plus récent est celui de Nordstrom, un grand magasin haut de gamme américain qui a fermé ses boutiques canadiennes en 2023, moins d’une décennie après avoir ouvert son premier magasin au Canada en 2014.
Target et Nordstrom ont tous deux connu des difficultés parce qu’ils ne comprenaient pas pleinement le marché canadien, selon la directrice et cofondatrice de Retail Strategy Group, Liza Amlani.
Les détaillants qui entrent au Canada tombent souvent dans le piège de penser que ce n’est que «le nord des États-Unis», dit-elle.
Toutefois, malgré les défis liés à l’arrivée de chaînes étrangères au Canada — et à leur maintien — un nouveau venu pourrait combler certaines des lacunes auxquelles les Canadiens sont confrontés en matière de choix et de prix, soutient Mme Amlani.
Il faut simplement que ce soit bien fait.
«Commencez petit, testez le marché avant de vous lancer et d’ouvrir une centaine de magasins», conseille-t-elle.
«Croître de l’intérieur»
Si le ministre Champagne réussit à attirer une chaîne étrangère au Canada, ce ne sera pas simplement parce qu’il en a fait la demande, croit M. Chapman.
«Je pense qu’elles exploreraient cette opportunité si le gouvernement proposait des choses différentes, des sortes d’incitations», affirme-t-il.
Mais M. Chapman estime que le Canada ferait mieux de «croître et de se renforcer de l’intérieur» afin de stimuler la concurrence sans avoir à attirer un acteur étranger sur le marché canadien.
D’après lui, il existe déjà de nombreuses petites entreprises d’alimentation régionales au Canada que le gouvernement pourrait renforcer au nom de la concurrence, au lieu de s’adresser aux plus gros joueurs de l’autre côté de la frontière.
«Examinons les personnes qui opèrent déjà ici et voyons comment leur trouver des opportunités de croissance et d’accroître la concurrence sur le marché», soutient-il.
MM. Sands et Chapman conviennent que le code de conduite des épiceries, actuellement en voie d’achèvement, pourrait contribuer à uniformiser les règles du jeu pour les petites et moyennes entreprises d’alimentation, stimulant ainsi la concurrence.
Mais après deux ans de travail sur le code — un accord volontaire censé s’appliquer à la fois aux détaillants et aux fournisseurs —, le groupe responsable de son développement a déclaré en décembre que son lancement était retardé parce que Loblaw et Walmart refusaient de le signer.
Les deux épiciers ont exprimé leur inquiétude quant au fait que le code pourrait augmenter les coûts pour les consommateurs canadiens.
Le ministre fédéral de l’Agriculture, Lawrence MacAulay, a déclaré que le gouvernement étudiait toutes les options disponibles pour faire avancer le code, y compris la législation.
Le gouvernement devrait donner la priorité à l’adoption du code, affirme M. Sands.
«Cela aidera davantage les épiciers indépendants du Canada, cela aidera davantage les petits et moyens producteurs et transformateurs du Canada (…) au lieu de passer des appels téléphoniques avec des chaînes étrangères», mentionne-t-il.
— Avec la contribution de David Friend, de La Presse Canadienne
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