Un dernier coup de rasoir sur 41 ans comme barbière

Par Charlotte Paquet 17 février 2016
Temps de lecture :

Baie-Comeau – La première barbière de l’histoire de Baie-Comeau, Nicole Cloutier, tournera la page sur 41 ans de métier à la fin du mois de février. Celle qui a dû nager à contre-courant pour faire sa place dans ce monde d’hommes, à la fin des années 70, considère que le temps est venu de passer à autre chose.

Nicole Cloutier est une femme pleine de vie, une femme passionnée encore par son métier. Si elle décide d’arrêter, c’est pour respecter les signes de son corps. « Je commence à avoir les os maganés », lance-t-elle en riant.

Écouter la barbière se raconter, c’est s’imprégner en quelque sorte du quotidien d’un salon de barbier au fil des ans, mais c’est aussi découvrir des pans de l’histoire qui ont de quoi surprendre en 2016. C’est connaître des situations propices à faire dresser les cheveux sur la tête à plus d’un… ou plus d’une. Voici le portrait d’une femme qui a abattu des barrières pour faire son chemin dans la voie qu’elle s’était tracée : le métier de barbière.

Des débuts difficiles

Dans le début des années 70, Nicole Cloutier, alors adolescente, décide qu’elle serait barbière. Pourtant, à l’époque, des barbières, ça n’existe pas. Elle fait part de ses intentions à un orienteur. « Il m’a répondu : “Ben voyons, on ne verra jamais de femmes barbiers”», raconte la future retraitée.

La jeune femme commence donc à travailler dans des restaurants lorsqu’elle apprend l’existence d’une école de barbier à Sherbrooke.  Elle s’y inscrit. « On apprenait la coupe au rasoir et la coupe au ciseau. On apprenait aussi à réparer les tondeuses, à effiler son rasoir à barbe avec une strape. On apprenait même à faire des massages faciaux après la barbe et à enlever les petits points noirs », se remémore-t-elle.

Après sa formation, elle travaille deux ans à Rimouski avant de déménager à Baie-Comeau avec le futur père de ses enfants. C’est alors que les choses se corsent. Ni le Salon Figaro ni le Salon Lasalle ne veulent l’embaucher.  « Si tu penses que c’est une femme qui va venir faire fermer mon salon de barbier », lui lance-t-on au visage pour lui expliquer que la place des femmes n’y est pas.

Déterminée à pratiquer son métier malgré tout, Nicole Cloutier réagit en ouvrant son propre salon de barbier dans l’ancien petit centre commercial de la rue Maisonneuve, dans le quartier Saint-Georges à Baie-Comeau. Elle connaît tout un succès. « Je peux-tu vous dire que les salons de barbier en ville fatiguaient, car les hommes du quartier n’y allaient plus. Je me suis fais connaître là et après un an, le gérant du Salon Lasalle, M. Babin, est venu me chercher », souligne la pionnière avec entrain.

Autre preuve qu’elle a dû surmonter bien des situations difficiles pour faire sa place dans le métier, Nicole Cloutier se souvient encore de la réaction d’un client à sa première journée de travail au salon de Place La Salle. « Il avait lancé à mon boss:  « Tu t’es engagé une fille à tout faire? », relate-t-elle.

À l’époque…

À la fin des années 70 et au début des années 80, le quotidien d’un salon de barbier était bien différent d’aujourd’hui. À des années-lumière pourrait-on dire. Écouter Nicole Cloutier se rappeler ses souvenirs, c’est aussi apprendre qu’à l’époque, dans de nombreux salons de barbier, les magazines de filles nues étaient pratiquement aussi disponibles que les Châtelaine ou 7 Jours d’aujourd’hui dans les salons de coiffure. Pendant que le client se faisait couper les cheveux, il pouvait feuilleter un Playboy ou un Penthouse sans que personne ne s’en offusque.

Les magazines étaient rangés à un endroit précis, à l’abri du regard d’un enfant qui serait arrivé pour une coupe de cheveux. Parfois, le client allait se servir lui-même, parfois, c’était le barbier ou la barbière qui lui apportait un exemplaire. Nicole Cloutier n’était pas mal à l’aise avec ça. « Moi, je disais que ça ne me dérangeait pas, en autant que les clients me respectent là-dedans », dit-elle.

Certaines situations un tantinet loufoques se sont cependant déroulées avec ces fameuses revues. La barbière se souvient notamment de ce bel homme bien vêtu qui est entré dans le salon. Elle s’est empressée de lui apporter un magazine pour qu’il le feuillette pendant qu’elle lui couperait les cheveux. Elle s’est bien aperçue qu’il ne semblait pas trop intéressé par les photos de filles nues. Or, après son départ du salon, son patron lui a fait remarquer en s’esclaffant qu’il s’agissait d’un… curé.

Nicole Cloutier a été la seule barbière du Salon Lasalle pendant environ cinq ans. Ensuite, les femmes ont commencé tranquillement à faire leur entrée de ce monde d’hommes. Quant à l’école de barbier qu’elle avait fréquentée à Sherbrooke, elle a fermé ses portes quelques années après son passage pour laisser place aux écoles de coiffures pour femmes et hommes.

___________________________________

« Ce qui se passe sur ma chaise reste sur ma chaise » – Nicole Cloutier

Baie-Comeau – Nicole Cloutier emportera avec elle une multitude de confidences en tirant sa révérence du métier de barbière. Comme elle le dit, « ce qui se passe sur ma chaise reste sur ma chaise. »

Sa clientèle lui manquera. Après 38 ans à manier le rasoir, le ciseau et la tondeuse au Salon Lasalle, Nicole Cloutier coiffe aujourd’hui la troisième génération de clients dans certaines familles. Elle a coupé les cheveux au grand-père, au papa et là, elle s’occupe de fiston. Et ces trois générations, elle les a servies dans le même salon, insiste-t-elle, en notant que les coiffeuses, elles, changeront souvent de salon au cours de leur carrière.

De toutes ses années comme barbière, la future retraitée gardera le souvenir de la richesse du contact humain avec sa clientèle. « Quand je travaille, je suis là pour les écouter. J’en ai aidé beaucoup en les écoutant. J’en ai reçu des confidences, mais après avoir franchi la porte du barber shop, j’avais tout oublié », raconte-t-elle. Elle compare le salon de barbier aux tavernes où les hommes se retrouvaient à l’époque. « Ce qui se passait à la taverne restait à la taverne », rappelle-t-elle.

En revanche, Nicole Cloutier est déjà intervenue auprès des familles de certains clients, dont elle soupçonnait des problèmes de santé en observant des changements de comportements d’un rendez-vous à un autre. « Quand tu les vois à tous les mois, tu vois qu’ils changent, comme des tremblements en prenant leur café. Tu peux aussi t’apercevoir qu’ils oublient. Quand tu vis avec eux 24 heures par jour, tu ne t’en aperçois pas toujours. Souvent, j’avisais la famille et elle était reconnaissante », mentionne-t-elle.

S’évaluer

La barbière a toujours évalué son travail après chaque client. « À chaque coupe, je me donne une note pour toujours mieux travailler. Je me donne jamais une note parfaite, car je ne suis pas parfaite. Avec les nouvelles coupes, les notes sont encore plus importantes. Quand tu es satisfaite, le client l’est aussi », explique celle qui a été en quelque sorte le mentor de plusieurs nouvelles barbières au Salon Lasalle au fil des ans.

Selon Nicole Cloutier, dans son métier, les rosettes dans la chevelure sont l’un des aspects les plus difficiles à contrôler. « Les rosettes, il faut savoir les maîtriser. Dans les premières années, j’avais plus de difficulté. Il y a beaucoup de trucs, mais je ne les donne pas tous », lance-t-elle d’un ton taquin.

Les cheveux raides et épais et les cheveux gris ou blancs demandent aussi certaines habiletés. « Les cheveux gris ou blancs sont secs. Si tu as la malheur de faire une coche, ça paraît plus », explique la barbière. Enfin, parfois, c’est la texture des cheveux qui nécessitera de l’adresse particulière.

Partager cet article