Entrevue avec Michèle Audette : pour que les jeunes filles marchent librement

16 août 2016
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Sept-Îles – «À commencer par les miennes, je veux que les petites filles marchent librement, en sécurité. Qu’elles ne se fassent pas agresser ou violer. C’est mon souhait le plus profond. Je pense que toutes les mamans pensent comme ça, mais moi, cette pensée-là, je l’ai tout le temps».

Fanny Lévesque

Ça fait vingt ans que Michèle Audette milite pour les femmes des Premières Nations. Rencontrée à Sept-Îles, alors qu’elle était pressentie pour être aux premières loges de la Commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, elle a accepté de livrer au Nord-Côtier ses rêves et visées pour les fillettes autochtones du pays. Son rôle de commissaire a été confirmé le 3 août.

«On est rendu à l’étape où il faut aller vers l’action», assure l’ex-présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada. «La commission en est une (action) qui doit amener la société à changer tout le monde.» Un changement «profond» qui ne se fera pas en criant ciseau, mais qui doit s’amorcer maintenant, explique-t-elle.

«L’intention ne doit pas être que de montrer du doigt. Est-ce qu’on peut reconnaitre, oui, qu’il y a eu des manquements, des faiblesses ou du profilage racial dans notre système? Mais ensuite justement, il faut s’entendre sur les actions à prendre pour amener ce changement, qui prendra peut-être quelques générations».

«Projet de société»

Michèle Audette voit jusque dans l’enquête fédérale «un projet de société» qui amènera les Canadiens et les Autochtones du pays à se redéfinir «pour diminuer le fossé» qui existe toujours entre les deux cultures. «Pour moi, c’est un des objectifs», dit-elle. «Il faut redéfinir cette relation-là, mais il faut le faire ensemble».

Le vaste exercice qui portera sur le nombre élevé de femmes autochtones disparues ou assassinées au Canada ne pourra faire autrement que de mettre en lumière les conditions de vie difficiles des Premières Nations, aux prises avec une longue liste de problèmes sociaux. «Je pense que ça va faire flasher plusieurs ministères et provinces».

«Ce sera très médiatisé, ce sera en même temps une éducation populaire», estime l’Innue de Uashat mak Mani-Utenam sur la Côte-Nord. «Tout ça va certainement apporter la création de nouveaux programmes par exemple, dans les provinces». Au Québec entre autres, elle espère que la réalité des femmes autochtones sera approfondie.

«Il a fallu démontrer la problématique au Canada à l’époque. Au pays, il y a beaucoup de chercheurs qui se sont penchés sur la question, mais au Québec, il n’y a pas grand-chose, c’est assez général. Alors j’espère qu’ici, on sera en mesure d’aller proche des familles et de replanifier le système aussi», poursuit-elle.

Lueur d’espoir

Si elle espère que l’enquête soit la bougie d’allumage vers une vie meilleure des Autochtones du pays, les premières pensées de Michèle Audette appartiennent tout de même aux familles endeuillées par la perte ou la disparition d’une des leurs. «Ce sera une lueur d’espoir pour ceux et celles qui ont perdu une fille ou même un fils».

«Parce que les recommandations seront aussi, je nous le souhaite, applicables pour les hommes assassinés ou disparus. La lutte s’est faite autour des femmes, mais il y a aussi beaucoup d’hommes qui n’ont jamais été revus et qui méritent aussi justice», explique Mme Audette. Et comment cette «justice» pourrait-elle être rendue?

«Le pardon fait partie de la guérison», lance-t-elle. «Une excuse ne ramènera pas ton enfant, mais si elle est accompagnée d’un changement, d’une ouverture, d’une meilleure compréhension, d’un soutien psychosocial et surtout de prévention, ça peut, oui (mettre un baume)», est d’avis la militante.

Son dernier souhait, il va aux femmes de demain. «Je veux qu’elles soient capables de dire oui parce qu’elles ont envie et surtout, capables de dire non parce qu’elles ont le droit. (…) Que le système soit là pour que les prochaines générations n’aient pas à s’en préoccuper parce qu’elles auront eu tout ce qu’il fallait. C’est à ça que je rêve.»

 

Qui est Michèle Audette?

  • Née à Wabush d’une mère Innue et d’un père québécois
  • Elle grandit entre Uashat mak Mani-Utenam et Montréal
  • Dans la vingtaine, elle s’implique au Centre d’amitié autochtone de Montréal
  • En 1998, elle prend la présidence de Femmes autochtones du Québec
  • En 2004, Jean Charest la nomme sous-ministre associée au Secrétariat de la condition féminine
  • En 2012, elle devient présidente de l’Association de Femmes autochtones du Canada
  • En 2015, elle tente le saut en politique fédérale devant l’inaction de Stephen Harper dans le dossier des femmes autochtones
  • En mars 2015, elle est défaite à l’investiture libérale de Manicouagan
  • En octobre 2015, elle perd l’élection dans Terrebonne, toujours sous la bannière libérale
  • Depuis, elle est conférencière et consultante

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