Le public boude Éclipse et rate une magnifique pièce

Par Charlotte Paquet 27 septembre 2017
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Avec Éclipse (Soqqwat), la troupe Espace K Théâtre a présenté un véritable petit bijou de pièce, mais la très faible participation du public reste une immense déception. Photo Le Manic

Avec Éclipse (Soqqwat), la troupe Espace K Théâtre a présenté un véritable petit bijou de pièce, mais la très faible participation du public reste une immense déception. Photo Le Manic

Baie-Comeau – Josée Girard et Jean-Claude Rochette ont livré une superbe performance sur scène, jeudi, lors de la troisième des cinq représentations de la dernière création d’Espace K Théâtre, Éclipse (Soqqwat), une pièce magnifiquement écrite. Il est juste désolant que le public n’ait pas répondu à l’appel de ce marathon théâtral.

Éclipse (Soqqwat) a été présentée au Centre des arts de Baie-Comeau du 19 au 23 septembre. Jeudi, lors du passage du Manic, une douzaine de spectateurs étaient sur place. Les cinq représentations ont attiré à peine plus d’une centaine de personnes.

Et pourtant, quelle excellente pièce! Une pièce qui explore l’univers plutôt méconnu de la panne d’inspiration à travers les yeux d’une sculpteure (Josée Girard), mais aussi de ceux d’un journaliste (Jean-Claude Rochette), qui l’interroge en prévision de sa participation imminente à une exposition internationale.

En trame de fond de ce passage à vide inquiétant qui la hante jour et nuit, la sculpteure d’origine micmaque abordera la réalité autochtone passée et présente. Rien de bien jojo, bien sûr, mais quelles prises de conscience en émanent!

Pour son chant du cygne avec le jeu sur scène, qu’elle a annoncé voilà quelques mois, Josée Girard est littéralement incroyable dans la peau de son personnage. Elle le rend à merveille. On sent son impuissance devant son inspiration en panne et son désir de retrouver la flamme qui lui permettra de terminer son œuvre. On perçoit les blessures qu’elle porte en elle pour la simple et unique raison qu’elle est autochtone, blessures qu’elle partage avec ses frères et sœurs des Premières Nations.

Jean-Claude Rochette excelle également dans son rôle de journaliste curieux, mais en même temps humain et attentionné envers celle qui lui accorde une entrevue (en quelques rencontres) non de gaieté de cœur, mais pour faire plaisir à son agente qui souhaite mousser ainsi sa participation à une exposition à l’étranger.

Au-delà du jeu

Au-delà du jeu particulièrement réussi des deux comédiens, Éclipse se distingue par la force du texte, écrit par Josée Girard en collaboration avec Pierre-Paul Savoie, qui signe la mise en scène. Ce texte, telle une rivière tumultueuse transformée en doux remous en atteignant le fleuve, laisse émerger les états d’âme de la sculpteure, ses doutes, ses remises en question et son parcours difficile.

Pour l’art, dira-t-elle à un moment donné, elle a tout sacrifié et c’est pourquoi elle n’a eu ni enfant ni mari. La recherche de financement, soulignera-t-elle aussi, lui bouffe tant de temps et d’énergie que sa création en souffre.

La qualité de l’habillage sonore et musical, signé Michel Robidoux, distingue également Éclipse. Il donne des accents au texte et au jeu. Il concrétise certains atmosphères ou des états d’âme particuliers. Le dialogue de la sculpteure avec son père décédé est un moment très touchant.

Réactions

Malgré tous les excellents commentaires reçus des gens qui ont assisté à Éclipse, Josée Girard, directrice générale et artistique de la troupe Espace K Théâtre, en plus d’être comédienne, avoue sa déception face à la participation de la population. « Le manque d’intérêt du public envers le théâtre de création nous questionne », avoue-t-elle.

Selon l’artiste, les gens sont portés à aller vers les valeurs sûres au détriment de spectacles qu’ils considèrent à risque. « Ils veulent une valeur assurée, mais ce n’est pas ça le théâtre de création et ce ne sera jamais ça », martèle-t-elle.

Celle dont Éclipse marquait la dernière présence sur scène comme comédienne s’étonne d’ailleurs du côté paradoxal de la situation. Depuis qu’elle a annoncé son départ voilà quelques mois, et même encore au cours de la dernière semaine, des personnes l’abordent pour lui dire comment sa décision les attriste et la grande perte qui va en découler.

Or, ces mêmes personnes n’ont pas jugé bon d’assister à sa dernière pièce. « Posez-vous pas la question pourquoi je ne veux plus en faire (de scène) », lance-t-elle à leur intention.

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