Des vétérinaires d’agence privée s’amènent dans la Manicouagan en raison de la pénurie

Par Charlotte Paquet 3:00 PM - 10 août 2021
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Copropriétaire de l’Hôpital vétérinaire Manicouagan, Dre Marie-Noëlle Morin (à gauche) pose avec Dre Amélia Dalpé, la première vétérinaire d’agence privée venue à la rescousse cet été.

Les vétérinaires sont une denrée rare dans la Manicouagan. À un point tel que le recours à des agences privées (comme en santé humaine) est devenu inévitable, cet été, pour répondre le mieux possible aux besoins de Pitou et de Minou, plus nombreux que jamais dans les chaumières depuis le début de la pandémie. Bienvenue à l’ère post-confinement.

En 2018, l’Hôpital vétérinaire Manicouagan comptait cinq vétérinaires. Aujourd’hui, elles ne sont plus que deux, en l’occurrence les copropriétaires de l’entreprise, les Dres Marie-Noëlle Morin et Nathalie Boucher. « On était cinq il y a trois ans. Il y a du travail pour cinq », souligne la première, en notant que des « changements de vie » expliquent les départs.

Depuis plus de six mois, l’Hôpital vétérinaire Manicouagan ne prend plus de nouveaux clients, mais continue de répondre aux urgences, que les propriétaires des animaux de compagnie aient ou non un dossier. La Clinique vétérinaire de Baie-Comeau n’accepterait également plus de nouveaux clients depuis des années.

« Il n’y a plus de vétérinaire à Fermont. On draine tout. Il y a des clients qui viennent de Tadoussac, parfois de Baie-Saint-Paul, car ils n’ont plus de vétérinaire non plus dans ce coin-là », raconte Dre Morin. « Présentement, on est tellement drainé par les urgences qu’on n’a plus de place pour les petits cas. »

Depuis le début de l’été, une vétérinaire d’agence privée en provenance de Gatineau est venue à la rescousse pour six semaines. Elle quitte dans les prochains jours, mais une deuxième, native de Baie-Comeau et qui y a travaillé un peu plus d’un an, est arrivée du Yukon cette semaine pour prêter main-forte à l’équipe.

Généralisée à la grandeur du Québec, la pénurie fait particulièrement mal en été, non seulement en raison des vacances des vétérinaires, mais aussi pour divers problèmes de santé animale davantage présents pendant la belle saison. Il y a aussi tous les touristes qui voyagent en région avec un animal de compagnie qui tombe malade soudainement.

Pénurie, pandémie et retard

En pleine pénurie de vétérinaires, et de techniciens en santé animale, il faut le dire, la pandémie a incité plusieurs personnes à adopter un animal de compagnie. « Avec la cause COVID, beaucoup de gens ont adopté de nouveaux animaux. On se retrouve en plus avec un plus grand volume d’animaux, comme partout au Québec. »

Le confinement du printemps 2020 et celui du début de 2021 ont eu comme effet d’allonger encore plus la liste d’attente pour les soins de base. À l’Hôpital vétérinaire Manicouagan, les délais peuvent s’étirer à près d’un an pour la vaccination annuelle et à quatre mois pour la stérilisation et les soins dentaires. « Et on ne chôme pas », fait remarquer Dre Morin.

Avant d’accepter de nouveaux clients, la vétérinaire propriétaire veut se mettre à jour avec ceux qu’elle a déjà. En l’absence d’urgence, de nouveaux propriétaires d’animaux de compagnie sont donc redirigés chaque jour à l’extérieur de la Manicouagan. Parfois, ce sera à Sept-Îles ou à Québec. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, plusieurs cliniques n’accepteraient pas de nouveaux clients.

Environ 95 finissants au doctorat en médecine vétérinaire graduent chaque année au Québec. Marie-Noëlle Morin souligne que c’est très peu pour une population qui a de plus en plus d’animaux, des animaux qui sont de mieux en mieux soignés et donc, qui vivent plus longtemps. Ça fait en sorte que tout le monde est débordé. »

La vétérinaire garde espoir que les choses s’améliorent un peu cet automne. Elle et son associée pourraient aussi continuer de recourir aux services de vétérinaires d’agence. La solution passerait évidemment par le recrutement de nouveaux vétérinaires.

Marie-Noëlle Morin en profite pour transmettre un message aux propriétaires d’animaux de compagnie : « Mon plus grand souhait, c’est que les gens fassent assurer leur animal, les assurances pour les soins de santé. On perd énormément de temps à discuter de budget avec les gens. Si les animaux étaient assurés, ce serait facile. On fait ce qu’il y a à faire et on arrêterait de soigner le budget du client. (…) Ça nous permettrait de prendre cinq à six cas de plus par jour. »

Sept-Îles remonte la pente après des années critiques

Le manque de vétérinaires est généralisé sur la Côte-Nord, tout comme dans l’ensemble du Québec. À la Clinique vétérinaire septilienne, à Sept-Îles, la situation s’améliore tout de même.

Trois vétérinaires à temps plein travaillent à la seule clinique vétérinaire à l’est de la Côte-Nord. « On a été dans le trouble pendant longtemps. Ç’a même été critique en 2019 et 2020 où on s’est retrouvé à deux », indique le vétérinaire propriétaire, le Dr Jordan Spattz.

Une nouvelle vétérinaire de la promotion 2020 a joint l’équipe, une autre de la promotion 2022 est attendue et, idéalement, il faudrait une cinquième personne. « On a travaillé extrêmement fort pour se trouver des jeunes », fait remarquer le Dr Spattz. Il parle notamment de bons salaires et de bonis, comme des billets d’avion pour leur permettre de retourner dans leur famille.

La pénurie de techniciens en santé animale est également une triste réalité, déplore le vétérinaire propriétaire. Chaque année, dit-il, 280 finissants sortent des cégeps, mais il en faudrait facilement 400.

Parmi sa clientèle, la clinique de Sept-Îles compte quelques clients de la Manicouagan qui ne peuvent faire vacciner leur animal de compagnie à Baie-Comeau. « Ce n’est pas tant que ça, maximum cinq par semaine », estime le Dr Spattz.

Outre les deux cliniques vétérinaires de Sept-Îles et Baie-Comeau et l’Hôpital vétérinaire Manicouagan, une seule autre clinique est en activité sur la Côte-Nord. Située à Sacré-Cœur, elle compte une seule vétérinaire, qui voit aussi aux soins des chevaux.

L’Ordre réagit

Président de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, le Dr Gaston Rioux reconnaît que la rareté de vétérinaires ne date pas d’hier. La pandémie est venue l’exacerber en raison des nombreuses adoptions d’animaux de compagnie, mais c’est au début des années 2000 que la tendance est apparue, dit-il.

« Il fut un temps où l’offre et la demande étaient égales, donc c’était plus facile pour recruter dans les régions », mentionne-t-il. Selon lui, les conditions de pratique à l’extérieur des grands centres urbains, avec des périodes de garde qui reviennent plus souvent vu la petite taille des équipes en place, expliquent une partie de la problématique.

Pour mieux desservir les régions, mais aussi tout le Québec, le président de l’Ordre fonde beaucoup d’espoir dans un projet soumis au ministère de l’Enseignement supérieur en janvier 2021. Il vise à offrir à 25 étudiants les trois premières des cinq années de formation en médecine vétérinaire à l’Université du Québec à Rimouski.

Ce bassin s’ajouterait aux 95 nouveaux vétérinaires qui graduent chaque année à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

Enfin, la réorientation de carrière de plusieurs vétérinaires dans un horizon de 5 à 15 ans après leur diplomation n’aide pas à solutionner la pénurie, fait remarquer le Dr Rioux.

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