Quand festival rime avec incertitude

Par Anne-Sophie Paquet-T. 7:00 AM - 27 juin 2023
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Marjo et ses musiciens lors de l’édition 2022 du festival Eau Grand Air de Baie-Comeau. (Photo : Kassandra Blais)

Les festivals de la région sont de véritables rendez-vous pour la population nord-côtière et les touristes estivaux. Même si ces événements culturels importants sont au cœur de nos sorties d’été, leur santé financière n’en est pas pour autant enviable. 

L’année 2023 est une période difficile pour les festivals qui sont à la croisée des chemins. La poursuite incertaine ou l’abandon sont inévitables, selon Patrick Kearney, président du Regroupement des festivals régionaux artistiques indépendants (REFRAIN).

Cette déchirante décision, qui se prendra cette année pour certains et dans un avenir rapproché pour d’autres, s’explique par la hausse des coûts de l’ensemble des dépenses post-pandémiques. « Le problème c’est que les subventions n’ont pas pris en considération l’inflation et sont restées à un même budget de phase prépandémique », témoigne M. Kearney. 

Le président du REFRAIN soutient qu’un copier-coller d’un festival X en 2019 ne peut pas se chiffrer au même prix en 2023 et encore moins lors des années suivantes.

« Les techniciens, les artistes, les déplacements, l’hébergement, les locations, le matériel, les toilettes, bref tout sans exception a augmenté la facture. Tes 20 000 $ en 2019 ne sont plus les mêmes 20 000 $ aujourd’hui, c’est ça qui n’a pas été ajusté », insiste-t-il. 

Attendre après l’argent

Il n’y a pas seulement les montants insuffisants qui entrent en ligne de compte. Les subventions qui tardent à se confirmer avec un chiffre surprise sont le quotidien des directeurs et gestionnaires de festivals.

« On est toujours stressé par les réponses. On reçoit des confirmations qu’on est finalement éligible pour certaines subventions, mais parfois sans en connaître le montant. Pour d’autres demandes financières, je reçois une réponse seulement après que le festival ait eu lieu. On se lance donc dans le vide chaque année », explique Julien Pinardon, directeur du Festival de la chanson de Tadoussac, qui quitte son poste cette année. 

Selon M. Pinardon, cette réalité est la normalité pour la plupart des festivals, mais surtout pour ceux qui sont en début de saison aux mois de mai et juin. Les budgets politiques sont votés en avril et l’argent tarde à rentrer, et ce, pour une grande partie de l’été.

Même constat pour Christophe James, coordonnateur général du festival Vieux-Quai en Fête de Sept-Îles. « Nous, cette année, on a dû supprimer un poste d’employé parce qu’on n’avait pas de réponse d’une subvention », dévoile-t-il.

En raison de cette patience financière pour d’autres montants, le comité du Vieux-Quai en Fête a dû se rationner afin de se permettre une 30e édition à la hauteur de ses attentes en 2024. L’absence d’un spectacle de feux d’artifice cette année fait d’ailleurs partie de plusieurs décisions qu’ils ont dû prendre à contrecœur.

Simon Philibert, producteur et gestionnaire du festival Eau Grand Air de Baie-Comeau vit lui aussi avec cette prise de risque depuis huit ans. « Le problème de prévisibilité est au cœur de nos préoccupations. Je le sais toujours après [l’événement] combien je vais recevoir, ce qui ne fait aucun sens, surtout dans de petits milieux régionaux comme nous », souligne-t-il.

L’organisateur a été surpris de la baisse significative des sommes octroyées par des subventions en 2023, tant au palier fédéral que provincial. Le festival a reçu moins que l’an dernier, sans explications. 

Grâce à la popularité de l’événement 2023, le festival Eau Grand Air a la chance de pouvoir absorber cette perte grâce aux passeports préventes déjà vendus en nombre record cette année. « Ce n’est pas toujours évident », admet M. Philibert. 

Un contrat financier
sur trois ans

Pour une première fois cette année, le ministère du Tourisme (MTO) a pris la décision de conclure des ententes de trois ans au même montant, ce qui est le cas pour certains partenaires financiers et commanditaires.

Évidemment, les directeurs sont satisfaits de cette décision qui leur soufflera un peu d’assurance financière pour les trois prochaines années. Le hic, c’est que le montant suggéré ne prend pas en considération l’inflation qui s’élève à 15 % à 25 % d’année en année, en moyenne.

Des solutions? 

Les solutions suggérées par les comités organisateurs sont simples. Ils désirent avoir plus de prévisibilités grâce à des ententes sur plusieurs années qui incluent le pourcentage de l’inflation. Les directeurs souhaitent également plus de compréhension des élus et des ministères en lien avec les critères des montants octroyés.

Par exemple, une sensibilité environnementale est demandée depuis un certain moment par les programmes de financement, selon le président du REFRAIN. Bien que louable, ce critère est désavantageux pour le côté financier des festivals. 

Patrick Kearney ne se fait pas rassurant. Il croit que de nombreux festivals mourront et de nouveaux événements ne pourront pas voir le jour, si les aides financières continuent en ce sens.

« Il y en a beaucoup qui ont survécu grâce à l’aide financière COVID-19, mais cette année, en 2023, il y en a qui ne passeront pas au travers. On en a là », exprime-t-il avec incompréhension du manque de soutien. 

Dépenser pour se justifier

Les directeurs de festival rencontrés par Le Manic ont confié devoir engager des firmes spécialisées pour réaliser des études de provenance et d’achalandage des festivaliers sur place. Cette dépense qui se chiffre à 10 000 $ est absorbée par le budget événementiel, mais elle est habituellement remboursée à près de 50 %.

Pour certains festivals, l’étude se réalise aux cinq ans et pour d’autres, comme celui de Tadoussac, aux années. Le ministère du Tourisme ainsi que Développement économique Canada sont les principaux demandeurs de ces données nécessaires à l’octroi de leurs subventions respectives. 

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