Pénitencier de Port-Cartier : trouver l’humain à l’intérieur des murs

Par Emy-Jane Déry 6:00 AM - 19 juillet 2023
Temps de lecture :

Le corridor des cellules de l’unité d’intervention structurée du pénitencier de Port-Cartier.

Chaque semaine, des détenus sont relâchés du pénitencier de Port-Cartier. Ils se retrouvent sur « l’asphalte », libre, avec leurs démons. « La semaine prochaine, vous pourriez en croiser et vous ne le saurez pas. Ça arrive, ça va arriver. Les gens l’oublient trop souvent », dit Jérôme Vigneault, sous-directeur de l’établissement.

La peine de mort n’existe pas au Canada. On croit en la réhabilitation. C’est un choix de société.

À partir de là, qu’est-ce qu’on fait pour assurer la plus grande sécurité possible au public ? 

L’accès au pénitencier de Port-Cartier est très restreint. Voir impossible. On comprend bien pourquoi, sauf que le résultat est que comme citoyen, on en sait bien peu sur ce qui se passe à l’intérieur des murs. Et c’est bien connu : ce que l’on ne connaît pas nous fait peur. C’est humain. 

Jeudi matin, je roule dans la brume. On dirait un film d’horreur. Pour la première fois en 15 ans de journalisme dans la région, j’ai accès au pénitencier. 

Le chemin qui part de la route 138 pour se rendre jusqu’à l’établissement est beaucoup plus long que je pensais. Je regarde, j’observe et, de façon un peu innocente, j’essaie d’analyser par où pourrait passer un détenu en fuite. Oh, la rivière Dominique. Je l’imagine la descendre dans un tonneau. 

Définitivement, je ne connais rien et j’ai écouté des films dans ma vie. 

Fini le « trou »

J’ai un chien. Je l’ai éduqué avec des méthodes de renforcement positif, plutôt qu’avec un journal roulé. J’ai des enfants. J’essaie d’appliquer l’éducation bienveillante, plutôt que la punition. Au pénitencier, c’est pareil. Les choses ont évolué et elles vont continuer de changer. 

L’abolition du « trou » avec la Loi C-83 est un tournant majeur dans le milieu carcéral canadien. Des détenus et des organismes de défense des droits humains ont eu gain de cause. La Cour a rendu des jugements qui ont obligé le Service correctionnel du Canada (SCC) à abolir cette façon de faire. 

Le « trou », c’était une cellule dans laquelle un détenu était gardé 22 h sur 24 h. Il était très isolé. Il voyait peu de gens. Il avait droit à une douche par jour et à une heure dans une petite cour extérieure. 

Cour extérieure de l’unité d’intervention structurée du pénitencier de Port-Cartier.

Depuis 2019, on a remplacé le « trou » par des unités d’intervention structurées (UIS). On est ailleurs. Les délinquants doivent avoir un minium de quatre heures de sortie par jour et deux heures d’interactions sociales. On intègre même des jeux ludiques. 

Les détenus y font des mandalas et jouent à Scattergories. Je sais, l’image est percutante. 

On ne se le cachera pas, la population carcérale de Port-Cartier est essentiellement composée de meurtriers et d’agresseurs sexuels. Plusieurs des détenus et les crimes horribles qu’ils ont commis ont été médiatisés. Les délinquants issus du crime organisé vont plutôt à l’établissement à sécurité maximum de Donnacona. C’est un autre type de clientèle. 

Quoi qu’il en soit, on a convenu au SCC que plus on isole un détenu, plus c’est mauvais pour sa santé mentale et plus il devient potentiellement dangereux pour ses co-détenus, le personnel et lui-même. Avec l’ancienne méthode du « trou », on ne contribuait pas concrètement à la réhabilitation. 

Une cellule de l’UIS de Port-Cartier.

Maintenant, il y a toute une équipe en place pour encadrer ceux qui se retrouvent dans une UIS d’un pénitencier canadien. À celui de Port-Cartier, il y a : des agents de libération conditionnelle, des agents de programmes sociaux et on a même créé un nouveau poste de coach en compétence comportementale. C’est un éducateur spécialisé qui va essayer de motiver l’individu à faire les bons choix. On veut l’amener à se tourner vers le retrait et l’option d’aller prendre de grandes respirations, au lieu de tout défaire autour de lui. On l’aide à se fixer des buts réalistes : revoir ses enfants, être transféré dans un établissement à sécurité médium. 

Il y a des suivis obligatoires sur les cas. Aux 20 jours, un comité s’assoit pour faire le point et s’assurer qu’on propose à l’individu les services appropriés et suffisants. Selon la durée de son séjour en UIS, il y a des ressources locales, nationales ou externes et indépendantes qui s’impliquent. 

« Il y a un changement de philosophie, les gars ne sont plus seulement parké là », m’explique une intervenante d’une vingtaine d’années d’expérience en milieu carcéral. 

Les travailleurs de cette unité structurée sont motivés. Ils croient à la différence que peut faire cette nouvelle méthode. 

« Il faut sortir des sentiers battus. On y croit, sinon on ne durerait pas », lance une des intervenantes. 

La salle autochtone du pénitencier de Port-Cartier offre un lieu de recueillement adapté aux Premiers Peuples. On peut notamment y faire de la couture et interagir avec un cockatiel.

L’un d’eux me raconte qu’en jouant une partie de Scrabble avec un détenu, on peut l’amener à s’ouvrir. Il va parler plus facilement et finir par accepter de faire un travail sur lui-même. 

Une autre y va de son expérience avec un détenu bien connu et craint par le personnel pour sa carrure impressionnante, et sa force, qui lui donnait la capacité de détruire tout sur son passage. Il se retrouvait souvent à l’UIS. Il en avait même fait plusieurs dans d’autres établissements avant de se retrouver à Port-Cartier. Il était très isolé. Il refusait de sortir de sa cellule. Cette intervenante a persisté, jusqu’à trouver quelque chose pour l’accrocher.

« Viens donc jouer une game de jeu vidéo avec moi dans la salle commune ».

Son invitation a tout changé. Depuis cette partie, il n’est jamais retourné en unité d’intervention spécifique. Il a évolué. Un lien de confiance s’est créé. 

« Ça cogne moins dans les murs, ça crie moins, ça détruit moins les installations, depuis qu’on travaille autrement », illustrent les intervenants de l’UIS.

Revers de la médaille 

L’implantation des unités d’intervention structurée est loin de faire l’unanimité. Ce printemps, le Syndicat des agents correctionnels du Canada dénonçait dans nos pages la hausse de la violence au sein du pénitencier, suite à l’abolition de la détention. En avril, deux agressions envers du personnel en cinq jours sont survenues. Le syndicat et des travailleurs, sous le couvert de l’anonymat, déploraient le manque de conséquences aux gestes des détenus et allaient même jusqu’à dire que c’était maintenant « eux qui géraient les prisons ». Mêlée à la pénurie de personnel, sur le plancher, la tension inquiétait une partie des travailleurs. 

Pour le sous-directeur du pénitencier de Port-Cartier, Jérôme Vigneault, « c’est une question de perception et ce n’est pas moins sécuritaire ». 

Il admet que c’est long changer les façons de faire auprès de tous, mais il est motivé par « l’effervescence jamais connue » qu’il a constatée au début des UIS, en 2019. 

« Je me rappelle le premier jour, c’était un samedi de novembre, nous étions très excités, tout le monde est rentré, même si c’était la fin de semaine. On avait besoin de ça », dit-il. 

Il n’y a pas moins de conséquences pour les détenus, assure-t-on, mais plus d’options. On peut les transférer d’établissement, leur donner une amende. « Et une menace n’est jamais banalisée. » 

« Je vois l’enfant » 

À côté de moi, deux dames âgées assistent à la présentation de l’UIS. Elles sont deux des rares bénévoles du pénitencier. Bien honnêtement, je les imaginais davantage sur les terrains de pétanque du Vieux-Quai, où en train d’installer des flamants roses à leur roulotte de camping.

Encore une fois, je ne connais rien, j’ai écouté beaucoup de films. 

L’une me raconte que jamais dans sa vie elle n’aurait fréquenté des gens du style des détenus du pénitencier de Port-Cartier. Pourtant, l’ex-infirmière y est bénévole depuis 20 ans. 

Elle parle avec eux, s’assure qu’ils n’ont besoin de rien. Au début, elle y est allée comme chanteuse de la chorale paroissiale. De fil en aiguille, elle leur a tendu l’oreille sur un banc de la petite chapelle du pénitencier. 

« Les découvertes qu’on fait », me lance-t-elle. « C’est un apprentissage constant. »

C’est ce qui la motive à s’impliquer, m’explique-t-elle. « Je vois la souffrance humaine derrière le délinquant. J’essaie de le retrouver à son niveau d’enfant, car oui, il a été cet enfant un jour », me lance-t-elle, droit dans les yeux. 

Plus tard, durant la visite guidée de l’unité d’intervention structurée, je l’entends dire qu’elle se « sent plus en sécurité dans le pénitencier que dans les rues de Montréal. »

Partager cet article