Manicouagan ou Côte-Nord-Kawawachikamach-Nitassinan!

Par Raphaël Hovington 3:31 PM - 10 août 2023 Chroniqueur
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Carte des circonscriptions du Saguenay-Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord. Photo : Redécoupage des circonscriptions fédérales

La Commission de redécoupage des circonscriptions fédérales pour le Québec serait-elle tombée sur la tête? Voilà la question que je me suis posée en apprenant que ses trois membres ont choisi de rebaptiser la circonscription de Manicouagan du nom de « Côte-Nord-Kawawachikamach-Nitassinan » afin de témoigner de la présence des Premières Nations sur le territoire de la Côte-Nord. 

Composée d’un ancien juge et de deux professeurs d’université à la retraite, la Commission a décidé de ne pas tenir compte du sondage réalisé par la députée de Manicouagan concernant le nom de sa circonscription. Cette dernière avait obtenu 1 140 réponses et la majorité des répondants favorisaient le nom de « Côte-Nord-Nitassinan ». Les sondés rejetaient la proposition retenue par la commission, à savoir « Manicouagan-Uapishka-Kawawachikamach ».

D’entrée de jeu, comme je l’ai déjà expliqué dans un billet daté du 22 février, j’étais en faveur du statu quo, c’est-à-dire que le nom de la circonscription demeure celui qu’on lui connaît depuis 1968, soit Manicouagan. Émanant de la langue montagnaise, le nom de cette grande rivière que les Français appelaient « rivière noire », « la grande rivière de Manikouaganistikou » évoque la présence innue sur le territoire de la Côte-Nord depuis des lustres. Même Jacques Cartier avait été fasciné par ce grand cours d’eau dès 1535.

Pourquoi vouloir réécrire l’histoire? Dans ce cas-ci, la Commission a tenu des consultations. Elle a consulté la chef de la Première Nation naskapie qui lui a confirmé en séance virtuelle être favorable à la référence à Kawawachikamach dans le nouveau nom de la circonscription de Manicouagan. Il aurait été illusoire de croire que la chef de la nation naskapie refuse pareille reconnaissance. Il faut savoir la terre naskapie a été créée en 1978 en vertu de la Convention du Nord-Est québécois et qu’elle ne comptait que 641 habitants en 2021. C’est moins de 1 % de la population nord-côtière.

La Commission a donc décidé d’imposer un nom aux électeurs et électrices d’une région nordique pour sa seule satisfaction. Dans son rapport, on peut lire « La Commission ne peut se rendre intégralement à la suggestion (N.D.L.R. : Côte-Nord-Nitassinan) puisque cela compromettrait sa volonté que toutes les Premières Nations autochtones et la Nation inuite soient représentées sur la carte électorale fédérale du Québec. Le toponyme Kawawachikamach reflète la présence de la Première Nation des Naskapis sur le territoire, il doit demeurer dans le nom de la circonscription ».

Voilà les dés sont jetés! La Commission persiste et signe en imposant un nom que la majorité des citoyens ont rejeté lors d’un sondage non scientifique, mais tout de même valable. Par ailleurs, l’ajout de l’expression « Nitassinan » dans le nom de la circonscription relève d’un fantasme politique. C’est comme dire à la majorité des 90 000 Nord-Côtiers qu’ils ne sont pas chez eux sur la Côte-Nord, car ils vivent depuis deux ou trois siècles sur le territoire traditionnel de chasse des Innus. On a l’impression qu’on cherche à nous nous dire que nous vivons en « territoire non-cédé » comme se plaisent à le mentionner régulièrement certains politiciens.

J’ai beaucoup de respect pour les Premières Nations, mais l’inclusion de l’expression « Nitassinan » dans le nom de la circonscription est inappropriée dans le contexte où les négociations territoriales engagées depuis plus de cinquante ans par le Gouvernement du Québec avec les Premières Nations n’aboutissent pas. Elles piétinent. Chaque fois qu’un petit pas est franchi, le recul est encore plus impressionnant. 

J’en conclus personnellement qu’il n’y a pas de réelle volonté de les faire avancer pour que les Premières Nations puissent aboutir à la création de gouvernements autonomes à l’intérieur d’une grande nation comme le Canada et l’une de ses provinces, le Québec. À qui la faute? Il ne m’appartient pas de juger même si je sais que je ne ferai pas beaucoup d’amis en exprimant le fond de ma pensée. Ma conclusion : pourquoi valser sur le nom d’une circonscription alors que le nom actuel est bien plus rassembleur que ceux qu’on cherche à nous imposer même pour de nobles raisons.

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