Vert mon œil

Par Émélie Bernier 8:00 AM - 24 août 2023 Initiative de journalisme local
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Rorqual à bosse. Mathieu Dupuis/Parcs Canada.

C’est fort probablement passé inaperçu dans les chaumières, mais en septembre 2022, bien avant que META nous mette cavalièrement à la porte, ça fera un an que j’ai quitté la vaste sphère généraliste pour concentrer la plus grande partie de mon temps professionnel aux questions touchant de près ou moins près l’environnement.

Certains m’ont demandé, à un moment ou un autre,  si j’avais quitté le bateau du Charlevoisien, mon alma mater depuis 17 ans… Que nenni! Je suis bien trop attachée à cette bonne vieille chaloupe qui livre contre vents et marées une information de qualité jusqu’aux rives de mes compatriotes.

Pendant ce temps, sur la Côte-Nord, de Forestville à Sept-Îles, on m’a vue apparaître dans les pages des journaux sans trop crier gare!

Ceci explique cela : j’écris désormais pour les quatre journaux de notre petit groupe de presse gaulois, Les Éditions nordiques : Le Charlevoisien, Le Haute-Côte-Nord, Manic et le Nord-Côtier.

Le territoire couvert donne le tournis puisqu’il s’étend de Petite-Rivière-Saint-François, à l’ouest, jusqu’au bout de la route de la Côte-Nord, à l’est. Évidemment, je travaille majoritairement au moyen de mon téléphone intelligent qui m’amène partout en limitant mes émissions de GES.

Depuis un an, j’ai écrit sur les pêches (à la crevette, au homard, au crabe, au flétan, au bar rayé, au saumon, au sébaste, au capelan, à l’esturgeon…), les baleines (les blanches, les noires, les bleues…), l’érosion côtière, l’usure des montagnes, le ciel étoilé, les fermiers, les mines, les eaux (douces, salées, potables, usées…), les rivières et l’hydroélectricité, l’économie circulaire, le développement durable, l’engagement citoyen, l’Ile d’Anticosti… Large, large, l’environnement, comme le golfe du Saint-Laurent…

Traduction simultanée

J’ai commencé à apprendre une nouvelle langue, ce dialecte scientifique souvent hermétique que j’ai tenté et tenterai encore de ramener sur le plancher des vaches pour ma compréhension, et la vôtre, ultimement.

Ici, comme ailleurs, la Terre n’a jamais été aussi précise dans l’expression tangible de son ” à-boutite ” aigüe. Les fonds marins se réchauffent, les éléments se déchaînent, les maisons partent dans le courant, les forêts brûlent… ” C’t’encore la faute à El Nino”, comme chantait ce bon vieux Plume.

Los ninos, plutôt. Les enfants. Vous et moi. Et eux et les autres. Nous sommes tous ces enfants terribles, à petite, moyenne et grande échelles, gamins rétifs qui refusons de modifier fondamentalement nos comportements alors que la volte-face devrait être collective, ferme et définitive.

N’avons-nous pas compris qu’à force d’usure, notre planète jouet se brise en petits morceaux qui seront difficiles, voire impossibles à recoller?

Si seulement nous pouvions rejeter la chose sur quelque phénomène météorologique ponctuel!

Trouble au paradis

Les preuves de notre nonchalance sont partout.

Un exemple parmi des milliers, des millions, des milliards?

Fin juillet. Je pêche dans une chaloupe sur le Lac Carré, dans les Grands Jardins. Il fait frais et beau, il ne pleut pas (pas encore). Le soleil sème des paillettes sur l’eau calme. Nous sommes seuls et bien, la canne à l’eau, la cannette au fond du bateau, les canards autour…

Bientôt arrive une voiture, un “pick up” ou deux, on ne sait trop, on est trop loin sur notre petite mer intérieure pour le savoir. Les babillages sont joyeux et on s’attend à voir des pêcheurs embarquer dans les chaloupes et nous rejoindre sur le miroir mouvant, mais non. Après une petite demi-heure de blablas et de rigolades, ils s’en vont d’où ils sont venus.

Plusieurs heures plus tard (pisse-minute sur la terre ferme, on a, par Dieu sait quel miracle,  des vessies de plomb le popotin dans une barque), on accoste pour rentrer au bercail.

S’ils ne sont pas restés longtemps, les joyeux lurons ont laissé leur trace. Sachets de mayo, lingettes, mouchoirs chiffonnés, emballages de collation irritent l’œil dans le tantôt vierge décor vert et sable.

En 2023.

Je n’en reviens pas encore, un mois plus tard.

A toi, dont j’ai ramassé les lingettes souillées, le papier Q pas net et autres cochonneries, j’ai envie de servir une flopée d’insultes moins mignonnes que celles du Capitaine Haddock. N’avais-tu aucune autre option? Te sacres-tu à ce point de la beauté des lieux? On est dans un parc national, pas dans une dompe! Et si j’allais me torcher sur ta galerie en laissant tout derrière, t’en penserais quoi?

Je suis revenue au chalet penaude malgré tout le merveilleux du jour.  Ma pêche dans le coffre, tes poubelles, et les miennes, à mes pieds, un vague sentiment de découragement flottant dans l’habitacle.

La pluie s’est mise à retomber.

Le Nord a continué à fondre d’un bord, à brûler de l’autre.

Le monde fend de part en part. Et vous, vous jetez vos poubelles par terre comme en 1984.

Et vos voisins arrosent leur asphalte. Et on ch…e dans l’eau potable. Et on roule tout seuls dans nos autos. Et on trouve donc le transport en commun pas pratique. Et on laisse tourner le moteur de notre char quand on s’arrête au dépanneur. Et on consomme, et on jette. La liste des consternations est sans fin.

On fonce dans le mur la pédale au plancher. C’est sidérant.

Faire notre part

Je me suis retenue toute l’année de péter les plombs sur nos comportements qui ne sont absolument pas en adéquation avec la catastrophe ambiante. Du citoyen lambda aux grosses gommes des industries les plus polluantes, on s’achète une conscience en mettant notre pinte de lait au recyclage. Ou en achetant de crédit carbone. 

Faire sa part ne saurait se résumer à ça.

Heureusement, il y a du beau, de la lutte pacifique, des gestes forts qui mettent un peu de bleu dans la grisaille et donnent envie de croire que tout n’est pas perdu.

Parlons-en, si vous le voulez bien. Après quelques semaines de repos qui ne s’annoncent pas des plus reposantes  (confidence pour confidence, je déménage!), je serai de retour à titre de journaliste à l’environnement pour les 4 journaux des Éditions nordiques.  

Envie de parler de vos initiatives écolos, de vos coups de gueule, de vos coups de cœur, des aberrations que vous côtoyez, de vos solutions, de vos espoirs? Écrivez-moi sans hésiter ici : ebernier@lecharlevoisien.com

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