Marie Wagner : la page se tourne sur 39 ans avec les jeunes de la DPJ

Par Charlotte Paquet 3 août 2016
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Baie-Comeau – « J’avais la capacité de croire en eux, d’être disponible et de ne pas juger. C’est une partie de ma recette. »

Marie Wagner vient de clore une carrière de 39 ans auprès des jeunes de la DPJ. Elle est à la retraite depuis le 26 juillet, le jour même de son soixantième anniversaire de naissance.

Travailler pendant presque quatre décennies avec des adolescents laissés pour compte, démunis ou carrément délinquants, c’est tout un contrat, mais l’éducatrice spécialisée de formation l’a rempli avec le grand cœur qui la caractérise. Elle a été maternante et encadrante à la fois, comme elle le souligne.

L’éducatrice a tenté d’allumer chez « ses » jeunes la petite étincelle qui changerait tout entre l’avant et l’après-DPJ. Cet objectif, elle en a fait le sien, tout comme l’ont fait les gens de cœur avec qui elle dit avoir travaillé.

« J’ai eu de bons délinquants, mais un jeune ne peut pas être entièrement mauvais. Il y a toujours une brèche quelque part qui va te permettre de pouvoir entrer en contact avec. Travailler avec le vrai délinquant, c’est tout un défi, mais j’adorais ça », indique-t-elle.

Ajuster ses attentes

L’expérience aidant, Marie Wagner a appris à ajuster ses attentes en fonction des jeunes qu’elle accompagnait dans leur cheminement. Elle a compris qu’elle devait les diminuer pour atteindre leur niveau. Il ne fallait pas leur demander le Pérou, pour reprendre l’expression.

« Dans le fond, il ne faut pas leur demander ce qu’ils ne sont pas capables de faire, mais leur dire qu’ils sont capables de faire quelque chose. Tout ce que demandent ces jeunes, c’est qu’on croie en eux, mais eux, doivent surtout croire en eux, en leurs rêves », souligne celle qui se décrit comme une éternelle optimiste.

Elle a cru en eux et elle a eu raison de le faire, comme le lui ont prouvé plusieurs jeunes, plus tard, en prenant leur place dans la société (voir autre texte).

L’époque Pavillon Richelieu

Après avoir flirté avec les Sciences administratives au Cégep de Baie-Comeau, l’étudiante d’alors a bifurqué vers les Techniques d’éducation spécialisée. En 1977, elle a fait partie de la troisième cohorte de l’histoire du programme à graduer. Elle ne se voyait pas travailler dans un bureau, tout comme elle ne se voyait pas plus quitter l’amour de sa vie pour poursuivre des études universitaires. « Je n’ai jamais regretté mes choix. J’ai été heureuse dans mon travail et dans ma vie de couple », confesse-t-elle.

La future éducatrice était en stage au Pavillon Richelieu à Baie-Comeau que déjà elle était embauchée. Une pénurie de personnel sévissait à cette époque marquée par la disparition des anciennes écoles de réforme au profit des centres d’accueil pour jeunes contrevenants. Il lui a fallu 16 ans pour obtenir un poste puisque la pratique voulait que les femmes demeurent sur la liste de rappel pendant que les hommes obtenaient les emplois affichés. « À ce moment-là, la philosophie c’était que c’était des jobs d’hommes. Les centres d’accueil ont suivi les écoles de réforme », rappelle-t-elle.

Ses dernières années, Marie Wagner les a passées comme éducatrice au Programme de qualification des jeunes. En 2015, elle a  réalisé un projet de cours de photos avec quelques-uns d’entre eux. Vernissage et ventes de leurs œuvres ont suivi.

Ses dernières années, Marie Wagner les a passées comme éducatrice au Programme de qualification des jeunes. En 2015, elle a réalisé un projet de cours de photos avec quelques-uns d’entre eux. Vernissage et ventes de leurs œuvres ont suivi.

L’éducatrice a travaillé durant 30 ans à l’unité L’Escale du Pavillon Richelieu, regroupant des garçons âgés de 12 à 18 ans qui étaient souvent aux prises avec des carences affectives et des habiletés sociales déficientes ou dont les parents avaient eux-mêmes des problèmes. « Ce n’était pas de la grosse délinquance. Notre job, c’était de leur créer une routine, de leur faire faire du sport pour dépenser leur énergie et de leur offrir des activités touchant l’hygiène, la sexualité, les habiletés sociales et même la popote », note-t-elle à titre d’exemple.

Avec les années, la clientèle a changé. « On a vu apparaitre des jeunes de plus en plus hypothéqués, on a vu la drogue chimique qui faisait plus d’addiction, on a vu plus de délinquance », se souvient la nouvelle retraitée, soulignant que le rôle des éducateurs était de préparer les jeunes à l’après-Pavillon Richelieu, à leurs 18 ans.

Place à PQJ

En 2008, la Côte-Nord a été l’une des dernières régions du Québec à mettre en place le Programme de qualification des jeunes (PQJ). Il est destiné aux jeunes de 16 ans (plus ou moins trois mois) et leur permet d’être accompagnés jusqu’à 19 ans afin de développer leur autonomie, leur réseau et leurs qualifications, que ce soit par un emploi ou les études. Marie Wagner a décidé de postuler.

« Je me suis dit : “ Je vais aller voir ce qu’on peut faire d’autre comme éducatrice“ », explique-t-elle, en soulignant que le PQJ a apporté un plus à beaucoup de jeunes en leur permettant d’acquérir des outils pour faire face à la vie.

Grâce à l’extraordinaire collaboration de collègues de travail et de gens et d’entreprises de la communauté, l’éducatrice a réalisé beaucoup d’activités enrichissantes avec « ses » jeunes, disséminés de Baie-Comeau à Forestville. « Moi, j’avais du plaisir avec les jeunes. Ils n’avaient pas de censure. Ils pouvaient tout me dire. J’en ai entendu des vertes et des pas mûres », poursuit-elle avec un sourire aux lèvres.

La retraite

Mère et grand-mère, Marie Wagner entame sa retraite débordante de vitalité. « J’ai encore plein d’énergie et plein de projets. Je veux étudier et je veux faire plein de choses », assure celle qui voyage beaucoup et qui organise aussi des voyages de groupes depuis quelques années.

Même si elle possède encore une propriété à Baie-Comeau, la nouvelle retraitée s’est récemment installée à Québec. Elle se rapproche ainsi de sa fille, son fils et son petit-fils. Ses propres parents l’y ont devancée il y a un an.


Des témoignages de reconnaissance

Baie-Comeau – Aujourd’hui, lorsque Marie Wagner regarde derrière elle et voit ce que sont devenus plusieurs jeunes de la DPJ, un sentiment de fierté l’anime. Eh oui, son travail, ainsi que celui de ses collègues, n’aura pas été vain.

« Il y en a beaucoup qui ont un emploi, une femme et des enfants », se réjouit-elle, même si elle reconnaît que certains de « ses » anciens jeunes vont un peu moins bien et que d’autres ne vont pas bien du tout.

Des témoignages de reconnaissance, elle en a reçu plus d’un durant sa carrière. Elle se souvient notamment de cet homme qui l’a présentée à sa blonde en affirmant : « Elle, elle m’a écouté. »

Un autre commentaire, en trois volets celui-là, a aussi marqué Marie Wagner. Un nouveau participant au Programme de qualification des jeunes, un programme qui lui permettait d’accompagner des jeunes de 16 à 19 ans, lui a dit la première année : « Tu fais ça parce que t’es payée pour le faire. » La deuxième année, il est revenu à la charge en lui lançant : « Peut-être que tu ne fais pas ça pour l’argent finalement. » Et la troisième année, il lui a confirmé : « Tu ne fais vraiment pas ça pour l’argent. »

L’un de ses anciens jeunes pratique aujourd’hui un métier qui lui permet de redonner à son ancienne éducatrice ce qu’elle-même lui a apporté. Parfois, elle est surprise à se faire interpeller dans un endroit public. « Hey Marie, me reconnais-tu? », se fait-elle lancer.

Encore aujourd’hui, certains jeunes la contactent pour jaser de tout et de rien. Après une prolifique carrière de 39 ans avec des jeunes de la Direction de la protection de la jeunesse et l’arrivée de la retraite, la coupure définitive ne se fait pas nécessairement en claquant les doigts.

 

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