Deux lanceuses d’alerte en punition

Par Raphaël Hovington 10:00 AM - 17 décembre 2022
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Quand on croit avoir tout vu, des événements viennent nous démontrer le contraire. Chez nos voisins, Donald Trump rêvait d’une suspension de la constitution pour chasser Joe Biden de la Maison blanche et y trôner à nouveau. Ici au Québec, on redécouvre depuis peu une expression légèrement galvaudée, celle des p’tits boss des bécosses.

Je ne l’ai pas inventée mais entendue de la bouche même d’une Régine Laurent visiblement outrée en décrivant le comportement cynique et inhumain des patrons d’une infirmière d’un CHSLD. Celle-ci a été suspendue pendant trois jours pour avoir mangé une rôtie au beurre d’arachide. Et son cas n’est pas unique.

En Montérégie, une préposée au bénéficiaire a aussi été suspendue pendant cinq jours pour avoir mangé une pointe de pizza qui allait être jetée. C’est comme la goutte qui fait déborder le vase après que l’on eut appris qu’une autre préposée a été sévèrement sanctionnée pour un beignet. Quelle sera la prochaine découverte?

Il ne faut pas aller bien loin pour pointer du doigt des situations que tout citoyen est en droit de dénoncer quand il s’attend à de la transparence dans un système qu’il finance avec ses impôts pour se sentir protéger par l’État québécois. Les lanceurs d’alerte ne semblent pas les bienvenus dans notre système.

Qu’il suffise d’évoquer le cas de l’agronome Louis Robert, congédié en 2019, pour avoir transmis des informations à des journalistes sur l’ingérence du secteur privé et d’intimidation au Centre de recherche sur les grains, un organisme financé par le MAPAQ. Il a été réintégré six mois plus tard à la suite d’une levée de boucliers.

Ici même à Baie-Comeau, on assiste à une histoire de lanceuses d’alerte dont on ne connaît pas encore l’issue. Cette fois, cela se passe dans le domaine des services sociaux. Une journaliste d’enquête du Devoir a publié un reportage le 25 mars 2021 où on révèle un manque d’espace et de personnel au Pavillon Richelieu, un établissement qui accueille une quarantaine de jeunes de 5 à 17 ans, pour la majorité d’origine autochtone. Le reportage signale que « certains dormaient sur des matelas par terre et qu’ils n’étaient scolarisés qu’à temps partiel ».

Le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord soutient avoir corrigé la situation depuis, mais a lancé une chasse aux sources journalistiques allant jusqu’à espionner les courriels de six employés. Deux d’entre elles ont été suspendues sans solde pour bris de confidentialité. La cause est actuellement débattue devant le Tribunal administratif du travail. Une cinquième journée d’audience est prévue le 23 février prochain pour entendre les plaidoiries des avocats.

Il ne m’appartient pas de juger si le CISSS avait droit d’espionner en temps réel les courriels de certains de ses travailleurs, mais c’est une pratique qui me semble admise sous contrôle judiciaire. Là où le bât blesse, c’est que les citoyens ont le droit de savoir comment sont dépensés les fonds publics et de connaître les lacunes dans les services offerts à la population, même si certaines réputations risquent d’être écorchées.

L’Alliance du personnel professionnel et technique (APTS) estime qu’il s’agit d’une « cause déterminante pour le droit des lanceurs d’alerte à dénoncer des situations considérées comme d’intérêt public ». L’APTS a raison sur toute la ligne. La récente sortie du Parti québécois et de son chef Paul Saint-Pierre Plamondon, qui se porte à la défense des deux travailleuses suspendues, ne peut qu’inciter le gouvernement de François Legault à légiférer pour protéger les lanceurs d’alerte.

Les deux autres partis d’opposition ne cachent pas leurs préoccupations face à ces suspensions. Manon Massé dénonce l’omerta imposé dans le réseau de la santé. La présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, réagit en soutenant que le rapport de mai 2020 sur la mise en œuvre de la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard d’organismes sera étudié en commission parlementaire.

De son côté, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec a tout à fait raison de dénoncer la manière dont le CISSS de la Côte-Nord a géré ce dossier. Pour faire leur travail, les journalistes ont besoin d’avoir accès à des informations, même si elles sont sensibles. Comme l’espère le chef péquiste, le gouvernement devrait lever la punition imposée aux deux employées du Pavillon Richelieu.