Tragédie à Portneuf-sur-Mer : la famille Dufour-Maltais raconte le drame

Par Anne-Sophie Paquet-T. 12:00 PM - 13 juin 2023
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Les membres de la famille Dufour-Maltais qui sont intervenus pour rechercher deux de leurs enfants en plus des trois autres personnes disparues. Photo Anne-Sophie Paquet-T

« Cessez d’accuser la marée pour expliquer la tragédie de Portneuf-sur-Mer ». Cette phrase résume les sentiments de la famille qui souffre de tout son être, mais tient à s’exprimer une première et dernière fois avant d’entamer son long et insoutenable deuil. Entrevue avec les Dufour-Maltais, dont la vie de deux garçons a été emportée, par un accident de véhicule tout-terrain, estiment-ils.

Trois familles. Sept enfants. Neuf adultes. Ils étaient tous rassemblés, filet à la main, pour une activité de pêche nocturne le 3 juin à Portneuf-sur-Mer. Cette soirée, qui devait se résumer à une fête entre amis, s’est transformée en un véritable drame. On en connaît la finalité : cinq décès, dont ceux de quatre enfants.

« C’était une journée de rêve pour eux, c’est devenu un cauchemar. Je n’ai pas d’autres mots, un vrai cauchemar », a lancé avec tristesse Vincent Dufour, le grand frère de deux des jeunes victimes. 
Le sort a voulu que Vincent, héros de ses deux frangins, fasse la macabre découverte des petits corps inanimés. « Tant que je ne trouvais pas mes frères, je ne sortais pas de la plage », a-t-il raconté durant la rencontre au domicile parental. 


« Maman, deux étoiles sont montées au ciel », a simplement soufflé l’aîné à sa mère pour lui annoncer cette nouvelle qu’aucun parent ne voudrait recevoir. Il aurait préféré ne pas avoir à le faire lui-même, mais le drame était tragiquement réel.


Que s’est-il passé ?

Cette question était sur toutes les lèvres le 3 juin. Tout un chacun y allait de suppositions, selon ce qu’il avait entendu. Voici la version des faits du couple endeuillé et des proches qui ont été appelés en pleine nuit par les parents paniqués et à bout de ressources. 
Après une soirée de pêche au capelan, il était temps de rentrer à la maison pour la famille Dufour-Maltais. Un premier groupe, dont faisaient partie Frédéric Dufour et Sarah Maltais, est ramené à la rive en véhicule tout-terrain pendant que les quatre adolescents attendent leur tour, tout en s’amusant à marcher et courir sur le banc de sable de 4 km.
Le groupe restant de six adultes et un enfant s’y trouve aussi pour pêcher et surveiller les duos de frères qui attendent que Keven Girard vienne les chercher. Quinze minutes plus tard, le père des deux enfants, Frédéric Dufour, l’appelle pour savoir où il est rendu. Son ami lui dit « j’arrive, je suis près des enfants ». Ce coup de fil de 59 secondes réconforte les parents, mais Keven Girard n’est jamais revenu.
Trente minutes plus tard, les parents s’impatientent. Le retour de Keven et des garçons se fait attendre. Le délai est anormal et le conducteur du VTT ne répond pas aux nombreux appels du couple de plus en plus inquiet. Sarah Maltais, la maman des deux frères emportés par les eaux du fleuve Saint-Laurent, n’en peut plus. Elle compose le 911 en insistant sur l’urgence de la situation.
Est-ce qu’un banc de capelans s’est manifesté ? Le son du vent en VTT empêchait-il Keven Girard d’entendre sa sonnerie ? Les ondes cellulaires peu fiables dans ce secteur étaient-elles en cause ? Tous les scénarios se sont multipliés dans la tête du couple.

Des recherches improvisées, un soutien psychosocial

Les minutes passent, le cœur des parents se serre. L’aide et le soutien brillent par leur absence. Frédéric Dufour et Sarah Maltais prennent les choses en main, alertant leurs proches pour partir à la recherche des personnes qui comptent le plus dans leur vie.
C’est là que le grand frère, Vincent Dufour, qui était à Tadoussac, entre en jeu. Il contacte à son tour le 911. « On aurait dit que tout le monde pensait que c’était une joke, que les enfants jouaient à cachette », expriment tristement l’aîné et son père.

Je ne trouve pas ça normal que personne n’a essayé d’aller voir. Personne n’a essayé quelque chose. C’est nous autres qui avons été obligés d’appeler du renfort et de tout faire parce que les policiers ne voulaient pas sortir de leur char. 

– Sarah Maltais

Frère, oncle, tante, grands-parents et amis de la famille Dufour-Maltais unissent leurs forces, apportant avec eux VTT et camionnettes empruntées en pleine nuit. Les petits corps sont finalement repérés par Vincent Dufour et retrouvés par les deux grands-pères, qui auront cette image gravée à tout jamais dans leur esprit. 
« C’est moi qui ai dit aux policiers que ma famille avait retrouvé les quatre corps », confie Yan Simard, l’oncle des deux victimes, encore ébranlé. C’était la première fois que le duo de patrouilleurs sortait de son véhicule, raconte M. Simard qui en garde le même souvenir que Frédéric Dufour.
Hors de lui, il se rend à la voiture de patrouille pour exiger qu’on vienne chercher ses deux petits-fils, sans vie. Acquiesçant finalement à la requête de M. Maltais, les policiers acceptent de se rendre sur les lieux. 
Preuve que l’urgence n’a pas été prise au sérieux selon la famille, les intervenants ne disposaient pas du matériel adéquat et éthique pour transporter les dépouilles. Cette étape crève-cœur a finalement été effectuée par Steeve Dubé et quelques bénévoles, d’après la famille.

 
Soutien psychosocial 
La famille Dufour-Maltais a été prise en charge par les intervenants psychosociaux, l’enquêtrice de la SQ et le personnel du CLSC de Forestville, dont elle souligne le professionnalisme et le soutien chaleureux. 
« L’humanité de ces intervenants nous a fait vraiment du bien », soutiennent d’un commun accord les membres de la famille. Les collations et les peluches ont été plus qu’appréciées. Sarah Maltais se souvient également d’un paramédic qui lui a offert ses condoléances avec émotion. Ce geste est allé droit au cœur des malheureux parents.
Au moment d’écrire ces lignes, la famille Dufour-Maltais n’a reçu aucune explication, excuse ou même sympathie de la part des premiers intervenants d’urgence qui étaient sur les lieux pendant cette terrible tragédie.
Le banc de sable de 4 km de Portneuf-sur-Mer est bien connu des familles de la région. Les pêcheurs se rendent sur place en VTT, sur une voie connue, pour se tenir aux premières loges du spectacle d’essaims de capelans. Feu, lampes de poche, VTT et nourriture, tout y étaient pour passer une belle nuit de pêche. 
Fausse manœuvre ou mauvais chemin ? Qui sait ? La douleur n’est pas moins grande pour les familles qui n’obtiendront probablement jamais cette réponse.


Sans réponse de la SQ
Le Manic a contacté la Sûreté du Québec afin d’obtenir ses commentaires sur le déroulement de l’événement tragique. Au moment de passer sous presse, la SQ n’avait toujours pas donné suite à notre requête médiatique. Du côté du service des incendies, le directeur Martin Bouchard explique que les premiers répondants ont été demandés sur les lieux en support à la SQ pour « un sauvetage spécialisé ».

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS

  • 00 h 20 Dans la nuit de vendredi à samedi) : Sarah Maltais, Frédéric Dufour, deux fillettes sont raccompagnés par Keven Girard en VTT.
  • 00 h 55 : Frédéric Dufour appelle Keven Girard qui lui répond au téléphone. Il mentionne qu’il « arrive près des enfants en VTT ».
  • 1 h 14 : Mathieu Jean entend des cris qui semblent provenir de l’eau.
  • 1 h 15 : La belle-mère de Mathieu appelle le 911.
  • 1 h 33 : Sarah Maltais ne peut plus patienter et appelle au 911 pour demander de l’aide.
  • 1 h 35 : Un duo de policiers arrive sur place. Ils expliquent à la dame ne pas s’inquiéter.
  • 2 h : Mathieu Jean sort des eaux, seul, en hypothermie sévère.
  • 5 h 40 : Vincent Dufour aperçoit au loin les quatre petits corps inanimés. Les deux grands-pères partent en direction de ceux-ci en VTT, tandis que Vincent les suit à la course.
  • 6 h 30 : L’agent de police se rend sur les lieux sans matériel pour récupérer les dépouilles.
  • 7 h 30 : Des bénévoles accompagnés de M. Dubé de la garde-côtière récupèrent les corps.
  • 7 h 45 : La famille Dufour-Maltais se rend au CLSC de Forestville.
  • 12 h : Les parents ont pu enfin voir leurs enfants.

Les heures sont selon les téléphones portables des gens qui ont raconté l’histoire et selon les souvenirs de ceux-ci.

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